Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/136

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— Je l’écoute.

— Ce nom, c’est…

Il hésita une seconde encore, puis acheva :

— C’est… Napoléon.

L’effet de ces syllabes fut foudroyant.

La comtesse appuya ses mains sur sa poitrine, une rougeur ardente couvrit ses joues, ses paupières s’abaissèrent, frissonnant de palpitations nerveuses.

Napoléon !

Combien de fois ce nom grandiose avait-il été prononcé devant elle, comme une ironie, comme une injure envieuse.

Car le monde, vil et bas, jette la bave empoisonnée de la calomnie sur les plus hautes vertus.

Mme  de Walewska était cette femme dont l’empereur avait dit :

— Ce fut ma seule amie sincère. Ce fut la seule femme qui comprit ma mission !

Il l’avait connue, alors que, réputé invincible, il entraînait la victoire de la Seine à la Vistule.

Durant trois mois, il l’avait vue presque chaque jour, ravi de sa chaste adoration, bercé par cet esprit lumineux qui lisait dans le sien ainsi qu’en un livre ouvert.

Auprès d’elle, sa gloire lui paraissait plus étincelante, sa mission de conquête plus divine.

Ce fut l’oasis dans l’existence de ce génie colossal, incessamment tourmenté par le lourd héritage de la Révolution.

Trois mois, trois fois trente jours, seul repos du Victorieux, seul souvenir de bonheur complet.

Quand il quitta la Pologne, il était rajeuni, retrempé. Mais vainement il supplia la comtesse, l’Égérie de sa gloire, de le suivre aux Tuileries.

Elle refusa obstinément.

— J’ai bercé le repos de Votre Majesté, dit-elle ; le souffle de mon amitié, immense comme votre rêve, a rafraîchi le front bouillonnant du plus grand souverain du monde. Laissez-moi retourner à mes obscurs devoirs. J’ai vécu quelques jours de votre existence, il faut que je consacre ma vie à en remercier Dieu.

Titres, dotations, elle repoussa tout.

— J’ai donné mon âme, pourquoi aurais-je l’air de la vendre ?

Elle accepta seulement un souvenir.