Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/135

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était remarquablement belle dans sa régularité classique. Son front haut et pur, ses yeux bleus, profonds comme des lacs d’azur, indiquaient une âme vaillante et sincère.

Elle s’avançait, paraissant chercher.

Enfin elle aperçut les trois hommes, et accélérant sa marche, se trouva bientôt auprès d’eux.

— Messieurs, dit-elle, n’est-ce point vous que M. le comte Walewski a envoyés vers moi.

Douce et grave résonna sa voix aux oreilles des Français.

Sur les traits d’Espérat s’opéra comme une détente, mais les sourcils du jeune homme se froncèrent de nouveau.

Au col de la comtesse brillait un gorgerin d’or, dont le motif principal représentait l’aigle à deux têtes d’Autriche.

— Me suis-je trompée ? reprit-elle, et n’êtes-vous point ceux que je cherche ?

— Si, Madame.

— Le comte vous a remis un message… ?

— Nous ne venons pas de la part de M. le comte.

Elle eut un geste de surprise, causé autant par la réponse que par le ton âpre d’Espérat.

Son regard devint sévère :

— Alors que signifie le prétexte dont vous vous êtes servis pour pénétrer dans ce palais ?

— Je venais au nom d’un autre.

— Quel autre ?

— Et cette aigle autrichienne dont vous êtes parée, Madame, arrête le nom de cet autre sur mes lèvres, glace ma dernière espérance.

Une dame quelconque de la Cour se fût irritée. La comtesse devina un drame poignant.

Ses yeux reprirent leur expression tendre.

— C’est un présent que j’ai reçu à l’instant, une courtoisie n’en appelle-t-elle pas une autre, à votre avis ? Et la Polonaise venue à Vienne pour défendre la Pologne menacée ne doit-elle pas porter le bijou offert par un empereur dont la volonté peut décider de l’avenir d’une race ?

Cela fut dit si simplement, si loyalement, par cette grande dame qui consentait à s’expliquer afin d’encourager son interlocuteur, que les préventions d’Espérat se fondirent comme neige au soleil.

— Madame, fit-il en baissant la voix, je vous dirai ce nom que je croyais devoir cacher.