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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/140

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Celle qui avait consolé le Génie, qui lui avait donné quelques jours de bonheur, était l’objet de la réprobation générale.

Hypocrisie mondaine, masque des pensers envieux, outrage anonyme et lâche de coupables qui, par leur sévérité affectée à l’égard d’une femme sans défense, pensaient se tailler une réputation de patriotisme, de dévouement.

Le comte, absent, toujours par monts et par vaux, exhortant ses frères polonais à continuer leur dévouement magnifique à Napoléon, au grand capitaine qui, seul, pouvait assurer l’existence de la nation dont les voisins avides, contenus par le héros, rêvaient le démembrement au milieu même de leurs défaites ; le comte ne savait rien et n’était d’aucun appui pour l’infortunée.

C’est ainsi, dans la maison vide d’amis, où les serviteurs circulaient silencieusement avec des faces mornes, que la comtesse devint mère.

Ah ! l’heure bénie pour les autres femmes, quelle torture elle apporta à l’infortunée. Nul ne vint s’enquérir d’elle, de son fils, car c’était un fils, qui venait de naître.

Telle une coupable, mise au ban de l’opinion, ce fut dans la solitude que Mme de Walewska embrassa ce fils pour la première fois. Et son premier baiser fut mouillé de larmes. Elle regarda le petit, et tristement :

— Tu seras un paria comme moi, mon pauvre chéri.

Voilà tout ce que la mère put murmurer à l’oreille encore fermée de celui qui entrait dans la vie.

Les jours succédaient aux jours dans la pensée attristée de la comtesse.

Elle se revoyait debout, dans le grand jardin où elle promenait sa tristesse.

Puis une lettre arrivait.

Le comte annonçait son retour. La jeune mère pleurait encore.

Le comte ! Elle avait terreur à se trouver devant lui. En la revoyant seule, abandonnée de tout et de tous, ne l’accuserait-il pas comme les autres d’avoir sacrifié la patrie à l’ambition ? Ne croirait-il pas à la calomnie ?

Les minutes de souffrance semblent des siècles, cependant elles passent comme les autres.

M. de Walewski rentrait dans le petit manoir familial.

Souriant, empressé, son aspect rassurait aussitôt la pauvre femme. Il faisait fête à l’enfant, félicitait sa femme de s’être astreinte à la retraite pour se vouer uniquement à ce fils qui perpétuerait le nom des Walewski.

Une semaine s’écoula ainsi. Le comte semblait oublier le monde, ses