Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/141

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projets, sa patrie, absorbé par les mille petits soins d’un homme aimant, par la contemplation de sa jeune femme pâle et triste toujours, par celle du bébé rose et joufflu.

Puis un soir, avec une placidité si parfaite qu’il n’était pas permis de douter de sa tranquillité d’esprit, que l’objection même ne se pouvait formuler, il disait :

— Mon amie, nous avons sacrifié une semaine à l’égoïsme du cœur. Demain le service de la Pologne me réclame.

— Demain ? fit-elle tremblante.

— Oui, au château de Posen-Arzew se tient une réunion générale de la noblesse ; plus que tout autre, je suis tenu d’y assister.

— Parce que vous êtes l’âme de la Pologne, qui veut vivre comme nation.

Il eut un doux sourire :

— Nous n’avons qu’une âme, ma chère femme, et mon adoration pour vous est telle que je ne saurais vous interdire de la complimenter. Seulement, j’attends de vous un sacrifice.

— Un sacrifice, répéta la comtesse dont le cœur se prit à battre violemment ?

— Oui, renoncer pour un jour à votre cher esclavage maternel.

— Renoncer… ?

— Pour m’accompagner à Posen-Arzew[1].

— Moi ?

— Sans doute. Votre présence, votre parole autorisée, pourront être d’un grand secours à l’œuvre que je poursuis. Grouper toute la Pologne sous les étendards de Napoléon. Tout ce qui augmente la force de cet homme, augmente les chances de salut de notre pays.

Puis reprenant l’accent caressant :

— Je sais que votre cœur généreux ne saura résister à de telles considérations. Veillez donc à ce que notre fils ne souffre pas de notre départ, et levez haut la tête, afin que l’on reconnaisse en vous, la fée adorable de la liberté polonaise.

Elle croyait encore entendre l’intonation ferme, encourageante, dont le gentilhomme avait prononcé ces mots.

Elle le voyait sortir en la saluant tendrement. Dans le grand salon où brûlaient des bougies blanches, fichées dans des candélabres de bronze, elle restait seule, bouleversée mais confiante, devinant que le défenseur s’était révélé.

  1. Chronique de Posen.