Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/146

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Les yeux du comte exprimèrent la désespérance.

— M. de Blacas m’a trahi, murmura-t-il.

D’une voix brisée, il ajouta :

— C’est la mort de la Pologne ; peut-être celle de la France !

Puis il resta muet, le visage dur, inflexible, absorbé par la plus déchirante des méditations.

Alors la comtesse se rapprocha de lui. Elle lui prit les mains et lentement se laissa glisser sur les genoux :

— Il reste un espoir.

— Un espoir qui vous contraint à prendre l’altitude des suppliants ?

— Je prie notre Maître divin de nous éclairer, de nous accorder la force du sacrifice.

Il semblait que, tandis que ses lèvres prononçaient les paroles, son front s’auréolait. Dans ses grands yeux bleus, s’allumait la flamme sacrée des inspirées. La femme se transfigurait en âme, l’âme de la Pologne expirante.

— Il faut que Napoléon consente à vaincre une fois encore.

Le comte sursauta :

— Qu’il consente ?

— La Pologne n’a plus de soldats à lui offrir. Une soldatesque brutale occupe nos villes, nos campagnes, mais nous, cheville ouvrière de l’indépendance polonaise, restons debout. Plions les genoux devant le génie suscité par Dieu.

— Vous voulez aller à Porto Ferrajo[1], s’écria M. de Walewski ?

Elle ne répondit pas directement à la question :

— Il refuse de rentrer en France, il refuse de tenter la partie que la Providence a peut-être appelée : Revanche.

— Mais je ne puis vous accompagner, mon devoir me retient à Vienne.

— Mon enfant m’accompagnera.

— Notre fils ?

— C’est la mère polonaise qui ira Lui dire : La Pologne t’a donné tous ses enfants. Tente d’épargner à son sol la honte de l’ombre des étendards étrangers.

  1. Porto Ferrajo est la capitale de l’île d’Elbe.