Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est nous qui t’avons apporté le sang de nos frères, nous dont Dieu a fait les émissaires de l’agonie d’une race ; nous qui devons être frappés en ce monde, dans l’autre, si tu ne nous fais pas l’aumône d’un linceul de gloire. Mourir n’est rien, si la rosée sanglante fait germer des lauriers sur la tombe.

M. de Walewski écoutait sans un geste.

Elle poursuivit, la voix comme cassée par la violence de son émotion intérieure.

— La Pologne, Sire, vous avait confié le sort de sa dernière armée ; je viens vous confier celui de la dernière famille polonaise. Si vous nous refusez l’effort suprême, qui peut être le triomphe, qui seul, en tout cas peut justifier la foi, inspirée par nous, que notre pays a eue en vous ; si vous refusez, nous nous exilons du bonheur, de la famille. Je n’ai plus d’époux, mon fils n’a plus de père… C’est la peine que M. de Walewski et moi nous imposerons afin que l’immensité de la torture efface la grandeur de l’erreur.

Le comte frissonnait maintenant.

D’une voix basse, il bégaya :

— Quoi ? S’il refuse, c’est notre bonheur, notre union que vous sacrifiez.

— Il est bon ; il ne voudra pas cela.

— Mais enfin, s’il refuse ?

— Plus haut que le bonheur est la patrie.

— Avez-vous songé à l’avenir de notre fils ?

Elle hésita une seconde, puis avec une douloureuse énergie :

— Plus aimée qu’un fils doit être la patrie.

Le comte s’inclina très bas :

— Quand voulez-vous partir ?

— Demain.

— Vous savez où rencontrer ceux qui vous accompagneront là-bas ?

— Non. Ils attendent, à l’hôtellerie de l’Empereur François, un mot qui leur fixe un point de rendez-vous.

— Bien.

Avec un calme tragique, le comte écrivit ce billet laconique.

« Demain, une heure après-midi, carrefour de Bellefeuilles, près le village d’Œlthinbourg. »

Et il signa :

Comte de Walewski.