Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/150

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quand, sa tâche accomplie, il s’est trouvé seul, banni, emprisonné par l’univers, une formidable coalition de haines s’évertuant à l’avilir, à le rapetisser, il a puisé dans sa géniale volonté le pouvoir de rester grand.

L’île d’Elbe, Sainte-Hélène, ces étapes suprêmes d’une Passion nouvelle, ces îles du Sacrifice, sont devenues le piédestal énorme d’un souvenir géant, et, par comparaison, le vaincu a réduit ses vainqueurs à la dimension de pygmées.

C’est pourquoi, de tout temps, les poètes, les artistes, tous les épris d’idéal, de nobles pensées, apporteront le tribut de leur admiration, fleurettes d’immortelles, sur la tombe de cette gloire éclatante et pure, symbole vibrant de la France crucifiée par les souverains, de la France amoindrie, insultée, dont le sang généreux coule toujours pour effacer les injustices du monde.

Après l’admirable campagne de 1814[1], Napoléon, conservant seul son courage parmi ses généraux découragés, avait consenti à échanger le trône de France contre celui d’Elbe, île minuscule, peuplée de 15.000 habitants, jetée comme un trait d’union entre la pointe septentrionale de la Corse et la côte italienne.

On lui permettait, ironie, d’emmener quelques centaines de ses compagnons d’armes… pour constituer sa garde Elboise, pour lui donner le plaisir de jouer aux soldats, selon l’heureuse expression de M. de Talleyrand.

Cela lui fut encore un triomphe. Toute la garde demanda à le suivre.

Il fallut désigner d’office ceux qui s’exileraient avec lui, pour rester dans les limites tracées par la coalition.

Alexandre de Russie exigea que la France payât une rente annuelle de deux millions (qui, entre parenthèses, ne furent jamais payés) au proscrit, car il fut constaté que l’homme qui avait été le maître, possédait en tout, trois millions quatre cent mille francs, reliquat du trésor de guerre, à peine suffisant pour parer, durant dix-huit mois, à ses dépenses indispensables à l’île d’Elbe.

Et le vaincu employa la moitié de cette faible somme à améliorer les routes, les ports, les mines de sa petite principauté.

Ses adieux à la Garde achevés, l’Empereur avait quitté Fontainebleau, sous l’escorte des chasseurs à cheval de la garde, commandés par le général Lefebvre-Desnouettes. À Briare, il dut se séparer de ces soldats

  1. Voir ta Mort de l’Aigle.