Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/204

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— Eh bien ?

Espérat resta debout :

— Milord, j’ai remis votre lettre à Mme la baronne.

— Ah ! fit Campbell avec joie. Elle l’a lue ?

— Avec un plaisir très grand.

— Avec plaisir, dites-vous ?

— Oui, Milord, car son but, en venant à Porto-Ferrajo, était d’entrer en rapports avec vous.

Le colonel eut un haut-le-corps ; le jeune homme ne lui permit pas d’exprimer sa surprise.

— Elle est en effet chargée, par lord Castlereagh et M. de Talleyrand, de vous communiquer des paroles si graves que ces gentilshommes n’ont osé les confier à un messager ordinaire.

Les yeux de l’Anglais s’arrondirent démesurément :

— Et ces paroles, vous les connaissez ?

— Oui, Milord.

— Vous, un… — il allait dire : un domestique ; il retint le mot prêt à lui échapper et acheva : — un enfant.

Avec un doux sourire, son interlocuteur répliqua :

— Un enfant qui doit tout à Mme la baronne, et qui serait heureux de donner sa vie pour servir sa bienfaitrice.

Le double sens de la phrase ne pouvait être perçu par l’espion, mais la sincérité de l’accent le frappa.

Espérat venait d’exprimer son ardent dévouement ; seulement ce sentiment réel et profond, s’adressait à la comtesse Walewska et non à la baronne Rœmer, légère différence que Campbell n’était pas en état de deviner.

Toute hésitation lui parut dès lors superflue, et ce fut d’un ton engageant qu’il prononça :

— Je vous crois, mon digne garçon, je vous crois ; du reste Mme de Rœmer doit savoir à qui elle marque sa confiance. Apprenez-moi donc ce qu’elle attend de moi.

Toujours respectueux d’attitude, Espérat eut une légère inclination de la tête.

— Milord me permettra de procéder dans l’ordre que m’a indiqué Mme la baronne ?

— Certainement.

— Le voyage de Mme de Rœmer a deux buts.

— Deux ?