Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/206

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À cette affirmation, Campbell parut reprendre possession de lui-même.

— Je suis tout oreilles, mon ami.

— Si vous étiez ici, dit alors Espérat, votre devoir, ainsi que vous le constatiez à l’instant, serait d’interdire à Napoléon de quitter le sol de l’île.

— Évidemment.

— Si vous y manquiez, votre condescendance étonnerait celui que vous surveillez. Peut-être même le mettrait-elle en défiance. Or, il faut qu’il n’ait aucun soupçon.

Ces derniers mots furent prononcés d’un ton si grave que l’Anglais en fut frappé.

— Je ne saisis pas.

— Marie-Louise ne sera pas sur le bâtiment que joindra Napoléon.

— Elle n’y sera pas ?

— Non. Mais à sa place, il trouvera de bons matelots anglais qui l’enfermeront dans une cabine, un bon capitaine anglais qui mettra aussitôt à la voile et le conduira à Sainte-Hélène, où il demeurera prisonnier, sous la garde de l’Angleterre[1].

Tout droit, comme galvanisé, le colonel Campbell avait levé les bras vers le ciel.

— Et l’Europe, s’écria-t-il d’un ton emphatique, sera délivrée du voisinage de ce fou ambitieux, et je serai libre de rentrer dans ma patrie.

Il ne vit pas le regard ironique et rageur qu’Espérat fit peser sur lui.

— Oui, Milord, répondit le jeune homme. Et Mme  la baronne vous prie de vous embarquer sans retard, et d’accepter pendant vingt-quatre heures son hospitalité à Livourne.

Le chiffre fit tressaillir l’Anglais.

— Vingt-quatre heures seulement ?

— Après lesquelles, vous reviendrez ici, pour constater la… fuite de l’exilé et rédiger un rapport dans ce sens. Le gouvernement britannique désire en effet que la vérité ne soit pas connue de suite.

— Oui, il faut que le navire soit loin des côtes européennes, que le fait accompli existe, c’est justement raisonné, by God ! Car les conseils de la Sainte-Alliance sont peuplés de trembleurs.

  1. Souvenirs d’un Congrès de Vienne, par Albert Vienecke. — Tel était le plan ourdi pour enlever l’Empereur et le conduire à Sainte-Hélène.