Puis fouillant dans un secrétaire, il en tira une poignée de souverains qu’il tendit à Espérat :
— Je pars à l’instant. Prenez, mon brave ami, pour les heureuses nouvelles que vous m’apportez. Jamais je ne me suis senti si content.
Mais à sa grande surprise, le faux laquais repoussa l’or.
— Non, Milord.
— Et pourquoi, j’ai grand plaisir à vous récompenser.
— Je n’en doute pas, et je vous suis obligé comme si j’acceptais. Seulement ma démarche m’a été commandée par Mme la baronne ; je sers Mme la baronne à cette heure, et elle, je la sers pour rien.
Du coup, Campbell se dépouilla du cant britannique :
— Alors, mon vieux garçon, serrez-moi la main.
— Volontiers, Milord.
Et le jeune homme mit sa main, qui tremblait un peu, dans celle de l’homme qu’il venait si adroitement d’écarter de la route de l’Empereur.
Une demi-heure plus tard, le colonel, suivi à distance par Espérat, gagnait la darse. Il hélait un canot et se faisait conduire au navire, qui, le soir même, devait emporter la comtesse Walewska.
La nuit est venue.
Le vent souffle avec rage ; hurlant, il pousse devant lui l’armée des nuages noirs, qui recèlent la foudre.
La mer bouleversée se rue à l’assaut de la ceinture de rochers qui se dressent, ainsi qu’un rempart, autour de l’île d’Elbe.
Les vagues semblent monter jusqu’aux nues, les nuées semblent s’abaisser jusqu’à l’écume des lames. C’est le chaos. C’est une vision effroyable où le monde parait devoir s’engloutir.
Et cependant, près de la jetée de la Porte de Mer, à Porto-Ferrajo, un jeune homme debout, immobile, attend.