Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Est-ce à la mort que je les envoie ?

Des zigzags de feu déchirent les nuages ; une épouvantable explosion ébranle l’atmosphère ; à ce vacarme un silence relatif succède.

Espérat s’est rapproché de la Porte de Mer :

— Je ne rêve pas, j’entends ; des chevaux marchent dans la boue. Ils viennent.

Il penche la tête pour voir au delà de la muraille.

Sur la place, à laquelle on accède par la Porte de Mer, des silhouettes s’avancent.

— La voiture de l’Empereur, murmure le fidèle enfant dont les cheveux se hérissent, dont la peau se couvre de moiteur… Eux !

Et avec un accent désolé, où palpite sa souffrance, où vibre son courage :

— Pourquoi ne puis-je partir à leur place !

Un homme à cheval paraît, ouvrant la marche.

Espérat le reconnaît, il s’approche.

— C’est vous, Monsieur Marchand ?

— Oui.

C’est en effet le dévoué valet de chambre de l’Exilé.

Tout bas, il ajoute :

— Chut ! Le colonel est embarqué, mais il est inutile de prononcer des paroles imprudentes, l’ouragan même peut avoir des oreilles.

Il passe.

Une voiture vient ensuite. À sa vue, Milhuitcent se précipite. Il aide la comtesse à descendre. Lui-même prend dans ses bras le fils de la noble femme. Il le porte jusqu’au canot qui attend.

Il n’a pas la force de parler.

Ses mains étreignent celles de Mme de Walewska, celles d’Henry, son frère d’adoption.

Tous sont dans le canot.

Les marins saisissent les avirons, l’esquif s’éloigne, tandis que le tonnerre gronde, que la pluie tombe à torrents, que les rafales emplissent l’air de hululements lugubres.

Marchand, l’escorte, se sont éloignés. Il ne reste plus sur le môle qu’Espérat désolé, cherchant en vain à percer les ténèbres, pour apercevoir encore ceux qui se sont dévoués à la cause du proscrit de la Sainte-Alliance.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Huit jours après, exactement, dans une grande salle, faisant partie