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CHAPITRE III

Cœur brisé, tête perdue


L’hôtel d’Artin-Rochegaule, alors logis Villardon, était une grande propriété, close de hauts murs. Deux portiques monumentaux agrémentaient la monotonie de la muraille grise et permettaient d’entrer, soit par la rue des Petits-Augustins, soit par celle des Marais.

Quand on avait franchi les lourdes portes, on se trouvait dans une petite cour pavée, qu’encadrait un coquet hôtel avec pavillons en retour, entre lesquels s’étendait une terrasse couverte, dont l’accès était assuré par un escalier de huit marches.

Des portes-fenêtres, aux purs ornements Louis XVI, s’ouvraient de plain-pied sur la terrasse, dans les vestibules, salons, salle à manger, et cœtera. Les chambres à coucher, boudoirs, occupaient le premier et unique étage, auquel on montait par un large escalier à la rampe ornée de guirlandes.

La façade opposée à la rue donnait sur un parc de deux mille mètres, où serpentaient des sentiers tracés au milieu des massifs d’arbres et d’arbustes, sur lesquels se détachaient de loin en loin des blancheurs de statues.

Cette délicieuse demeure, construite par un financier, en 1784, avait été habitée successivement par celui-ci, un nommé Livard, puis par un sieur Cobequin, personnage mystérieux dont les fonctions auprès du Comité de salut public n’ont jamais été bien définies. Un certain marquis de Villardon, rallié à l’Empire, avait ensuite acquis la propriété, mais il était mort en 1812, et depuis, l’hôtel Villardon n’avait plus été habité jusqu’au mois d’octobre 1814, époque à laquelle M. d’Artin-Rochegaule l’avait acquis, et s’y était installé avec sa sœur Lucile, belle jeune fille qui, disait-on, avait perdu la raison pendant les horribles journées d’invasion dont la France avait subi la honte au début de cette même année.

La maison était agréable et noblement entourée. Contiguë à l’hôtel de