Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/214

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regard à la ville, des soldats de la garde encombraient toutes les parties du pont. Les dix-huit canons du brick montraient, sur ses flancs, leurs gueules de bronze, à travers les sabords démasqués.

Soudain, il se fit un grand silence. Toutes les conversations cessèrent.

Suivi de Bertrand, Drouot, Cambronne et de son état-major, l’Empereur venait d’apparaître sur le petit môle d’embarquement.

— Lui ! balbutia Milhuitcent, dont le cœur battait avec force.

Quant au commandant Taillade, il alla se placer instinctivement à la coupée pour recevoir l’illustre passager.

Les canots avaient quitté le môle. Sous les coups rythmés des avirons, ils approchaient rapidement.

Quelques minutes leur suffirent pour atteindre le bâtiment, et Napoléon qui avait gravi légèrement l’échelle, se montra.

— Vive l’Empereur ! rugirent les soldats.

Presque aussitôt, le brick se couvrit de voiles. Les autres bâtiments de la flottille l’imitèrent, comme s’ils eussent obéi à un même commandement.

Les navires demeurèrent un instant encore immobiles, et enfin, sous l’impulsion du vent qui gonflait leur voilure, leur étrave fendit les flots.

La brise apporta aux oreilles des navigateurs les tintements des horloges sonnant sept heures du soir.

C’était le dernier adieu d’Elbe à son souverain.

Après avoir visité la cabine à lui destinée, Napoléon était revenu sur le pont.

Il y avait rencontré Espérat.

— Eh bien ! mon jeune ami, lui dit-il, tu es satisfait.

— Oui, Sire.

— Il faut faire tout ce que tu veux.

— Oh ! Sire, ce n’est pas à ma voix que l’Empereur a répondu, c’est à l’appel de la France.

Napoléon sourit et continua sa promenade.

Le vent soufflait du sud. La fortune semblait favoriser l’audacieuse expédition.

Mais vers le milieu de la nuit, la brise mollit et finit par tomber tout à fait, de telle sorte qu’au matin, ayant franchi à peine sept ou huit lieues, les vaisseaux restèrent sans mouvement, à la hauteur du cap Saint-André.

En un instant, tout le monde fut sens dessus dessous, passant de la confiance la plus absolue au découragement.

On se trouvait dans les eaux mêmes des croisières anglaise et française,