Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/215

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affectées à la surveillance de l’île d’Elbe. Tout retard augmentait les chances d’être signalé, d’être surpris, d’échouer piteusement.

Le capitaine Taillade, le général Bertrand, supplièrent Napoléon de permettre que ses bâtiments fussent ramenés à la remorque à Porto-Ferrajo, où l’on attendrait un vent favorable.

Mais il répondit avec calme :

— Mes amis, je sais que, dans toute entreprise, il convient d’envisager de sang-froid les divers aspects que prennent les événements. D’après mes renseignements, les vaisseaux anglais sont en ce moment vers le sud. Restent donc les deux frégates et le brick de la croisière française. Attendre ici n’est pas plus dangereux que là-bas.

Et après un silence :

— Au surplus, je ne me rendrai pas. Si j’échoue dans mon entreprise, mon échec ne sera pas ridicule, je vous le promets.

Ceci dit, il les congédia, et appelant Marchand :

— Mets-toi à la recherche d’Espérat ; amène-le-moi.

Au bout de quelques minutes, le valet de chambre revenait avec le jeune homme.

— Espérat, commença Napoléon, le calme nous immobilise. Surpris par les vaisseaux français qui croisent dans ces parages, je devrais renoncer à mes desseins. L’Europe ne manquerait pas de tourner en dérision cette tentative avortée.

Tout pâle, Milhuitcent inclina la tête.

— Tu le crois comme moi, mon enfant ?

— Hélas ! oui, Sire.

— Pour la tradition française que je représente, que j’incarne, je ne veux pas, quoi qu’il arrive, tomber sous le ridicule.

— Pour la patrie, il ne le faut pas, appuya le jeune homme avec force. Combattons, et, si nous succombons, que ce soit en soldats.

Mais l’Empereur secoua le front :

— Non, je ne veux pas que mes soldats français entrent en lutte avec des marins de France[1].

Et comme son interlocuteur le regardait surpris.

— Voici ce que j’attends de toi, Espérat.

À l’arrière, je t’ai fait réserver une cabine.

— Oui, Sire.

— Dans cette cabine, je vais faire porter un baril de poudre.

  1. Journal du général Bertrand. — Lettres de Taillade.