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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/216

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— De poudre ?

— Et si nous sommes sur le point d’être pris, je compte sur toi pour y mettre le feu.

Milhuitcent fit un pas en arrière, toute sa personne exprimait l’effroi. Napoléon parut surpris :

— Je croyais que nul n’était aussi dévoué, aussi brave, grommela-t-il entre ses dents. Me serais-je trompé ?

Mais Espérat avait entendu.

— Non, Sire, vous avez vu juste. Toute ma vie vous appartient, je suis prêt à vous l’offrir sans hésiter ; je tremble en ce moment pour vous, pour vous seul. Et puis, ajouta-t-il avec tristesse, vous disparu, que deviendra le pays de France ?

Ce fut au tour de l’Empereur de frissonner.

Il n’avait pas songé aux conséquences de son trépas.

Il avait vu la mort dans un éblouissement de flammes, dans un cratère s’ouvrant brusquement à la surface des eaux, et à la pensée de la patrie abandonnée à la haine de l’Europe, sans chef réel, il éprouvait, comme Milhuitcent lui-même, une insurmontable horreur.

— Eh bien ! dit-il avec abattement, j’accepterai le ridicule.

Il n’avait pas achevé qu’Espérat était à ses genoux :

— Pardonnez-moi d’avoir hésité, Sire.

— Te pardonner, pauvre enfant ; tu n’es pas coupable.

— Si.

— Allons donc.

— J’aurais dû songer que c’était votre honneur, celui de la France de la Révolution que vous daigniez me confier. Périssons tous, Patrie, hommes, enfants, pour que l’honneur reste intact. Sire, pardonnez, je ferai sauter le navire.

— Mais…

Espérat l’interrompit avec exaltation.

— Périsse jusqu’à notre souvenir, pourvu que votre image reste grande, comme un enseignement, comme un exemple, comme un espoir pour l’avenir.

Et se relevant, calme, froid, une inébranlable résolution empreinte en son regard bleu :

— Ordonnez, Sire, que l’on transporte la poudre dans la cabine de celui dont la vie vous appartient, comme celle de tout ce qui est du sang de Rochegaule.

L’heure n’était point aux longs remerciements.