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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/256

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Un prétexte le lui permettait, d’Artin était convaincu de mensonge.

Tout l’être du misérable gentilhomme exprimait un effondrement si complet que M. de Blacas ressentit comme une vague pitié.

Lui, le seigneur élégant, ennemi né de tout ce qui rampe, comprit que, s’il restait là, il essaierait de consoler, d’encourager le plus rampant des hommes. Il salua silencieusement et quitta le salon, sans que le comte fit un mouvement pour le retenir.

Peut-être même d’Artin ne s’aperçut point de sa retraite. Il était replié sur lui-même, contracté, absorbé. Le but de sa vie entière lui échappait en une seconde ; du faîte il retombait aux abîmes. Et peu à peu, dans le tourbillon des plaintes de son orgueil, une pensée se précisa :

— Si, à cette heure, Espérat réclamait le nom de Rochegaule, appuyé du témoignage de Bobèche, d’Henry, de Napoléon, Louis XVIII n’hésiterait pas à le croire, maintenant que lui, d’Artin, avait été convaincu de mensonge. Et alors… ?

Un geste violent, une table étagère renversée sur le parquet, annoncèrent le réveil de la volonté chez le comte.

— Non, gronda-t-il, cela ne sera pas.

Plus âpre encore, il formula sa pensée :

— Vous m’avez réduit au désespoir. Vous verrez comment mon désespoir se venge.

Puis marchant à grands pas à travers la pièce, avec des gestes anguleux, étranges et inquiétants, il lança des phrases dures, incisives, incomplètes, comme hachées par les dents, entre lesquelles son souffle sifflait :

— Ah ! l’on fait mon malheur… Je ferai le vôtre à tous. D’abord, cet Espérat maudit… Je le tuerai… Libre de ce côté, je circonviendrai bien ce monarque imbécile… Parbleu ?

Soudain, Denis Latrague fit irruption dans la pièce. Il brandissait un journal.

— Qu’est-ce ?

— Vé, lisez vous-même, Monsou le comte.

D’Artin saisit la feuille. En tête de la première colonne, un titre en grosses lettres, attira son attention. Il prononça lentement :

« Évasion de l’usurpateur : Napoléon a débarqué à Cannes. »