Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/312

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Une seconde, il demeura immobile, réfléchissant.

Soudain il poussa une exclamation joyeuse.

— Eh parbleu ! Bourmont et Blücher me rendront ce service. Hasard de la guerre. Malheur que je déplorerai tout le premier, car, le roi rentré aux Tuileries, j’aurais été heureux de tendre la main à mon frère… supposé.

Un quart d’heure plus tard, le comte et ses complices quittaient la maison de garde. L’adjudant Clouet prenait d’Artin en croupe et les cavaliers s’élançaient au grand trot dans la direction des lignes françaises.

Sans peine, ils franchirent les postes. Ils avaient le mot de passe.

À ceux qui s’étonnaient de voir Clouet avec un paysan en croupe, l’officier d’état-major donnait bénévolement l’explication suivante :

— Un brave homme qui a été aujourd’hui même à Namur et qui pourra donner d’utiles renseignements.

On n’insistait pas.

Ainsi l’on parvint au lieu dit « Le Bois aux Merles ».

Le Bois aux Merles était une maison mi-partie bourgeoise, mi-partie fermière, qu’entourait un vaste jardin enclos de murs et de palissades.

C’était là que le général de Bourmont avait établi son quartier général.

Ancien chef des chouans, ce gentilhomme, après la pacification des provinces de l’Ouest, avait obtenu de servir dans les armées impériales et s’y était distingué.

Par malheur il n’avait pu, ni s’attacher complètement à Napoléon, ni se détacher entièrement de ses anciens compagnons de guerre civile.

Oscillant entre les deux partis, sollicité par l’un et par l’autre, en raison de ses réels mérites, il avait réussi à faire tout son devoir jusqu’en 1814.

Mais l’abdication survenue, ses sympathies étaient allées généreusement aux vaincus, c’est-à-dire à ces ex-officiers de l’Empire, à ces demi-solde que la royauté condamnait à l’inaction et à la misère.

Il s’était efforcé de venir en aide à ses anciens compagnons d’armes. Sa modeste fortune n’ayant pas suffi, il avait eu recours aux emprunts. Sa mauvaise étoile le jeta aux mains du sieur Chenalières.

On devine le reste. L’homme d’affaires, stylé par d’Artin, avait poursuivi le général sans la moindre pitié.

Ce dernier qui, sans cela, fût, sans doute demeuré neutre durant les Cent-Jours, partagé entre ses regrets de la chute de Louis XVIII et sa tendresse pour l’armée impériale, se trouva acculé à la nécessité de reprendre du service.