Sa barbe, ses cheveux rutilent. On croirait voir des flammes.
Il ajuste lentement le hussard qui s’éloigne.
Un instant se passe, la détonation éclate.
Le fuyard a un soubresaut, il étend brusquement les bras, puis il tombe à la renverse, la botte prise dans l’étrier, et son cheval épouvanté, s’emporte, traînant après lui le cadavre qui rebondit sur les aspérités du chemin.
Le justicier s’est retiré de la fenêtre. Il recharge son arme à l’abri du mur. Tout en déchirant la cartouche, il gronde avec un mauvais rire :
— Sauve-toi maintenant, si tu le peux.
Il a un grincement de dents et ajoute :
— La Garde, allons-donc. Le vieux Blücher est à Saint-Amand. Jamais les chiens de Français n’y entreront.
La fusillade continue plus ardente.
Espérat, à présent, ne se rappelle plus l’endroit où il se trouve. Il ne voit plus ce qu’il a sous les yeux.
Les paroles du hussard sonnent en carillon de fête dans son cerveau :
— Sauve qui peut ! La Garde a enlevé Saint-Amand !
Et il regarde avec toute son âme vers le village enveloppé de fumée que strient les éclairs des coups de feu.
On se bat encore ; Saint-Amand n’est donc pas évacué. Le hussard a été pris de panique. Il a mal vu.
Non. Dans une accalmie, le jeune homme perçoit des roulements de tambour. C’est la charge.
À certaines modulations, Espérat reconnaît la batterie de la Garde. Tout est vrai. Elle est là, elle vient ; rien ne résistera à cette troupe d’élite.
Le prisonnier a raison. La Garde vient de décider du sort de la bataille.
L’inaction de Ney, durant cette journée, a privé Napoléon du corps de Drouet d’Erlon qui, les Quatre-Bras enlevés, devait revenir à Fleurus.
Elle l’a laissé avec 60.000 combattants seulement, en présence de 90.000 formidablement retranchés.
Malgré cette disproportion de forces, l’Empereur a galvanisé ses troupes ; il a fait passer en elles sa volonté de vaincre.
Elles occupent Saint-Amand, Ligny, jusqu’à la ligne du ruisseau. Il faut en finir avec la résistance des Prussiens, en finir aujourd’hui, car demain, on sera en contact avec la seconde armée des alliés, avec l’armée de Wellington.
Et dans la lueur du jour à son déclin, au milieu du tumulte, des armes, Napoléon modifie le plan qu’il avait primitivement arrêté.