Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/351

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Un feu terrible couche à terre la moitié des cavaliers.

Et bondissant derrière les escadrons décimés qui s’enfuient éperdus, les grenadiers atteignent le plateau.

Ce sont des lions déchaînés. Rien ne leur résiste. Ils vont, renversant tout sur leur passage aux cris furieux de :

— Vive l’Empereur ; pas de quartier.

La division Vandamme, la Jeune Garde électrisées, chassent les Prussiens des dernières maisons de Saint-Amand, et débouchent à leur tour sur le plateau.

Dès ce moment, la bataille est gagnée.

Plus tard on saura, fait unique dans l’histoire, que tels ont été le bon emploi de l’artillerie, la furie des troupes françaises que, combattant à découvert un ennemi retranché, l’armée impériale a perdu seulement 6.950 hommes, alors que les Prussiens ont eu 25.000 soldats hors de combat et ont laissé aux mains des vainqueurs trente pièces de canon et six drapeaux :

Cependant la lutte continue dans Ligny.

Il semble que l’âme de Napoléon passe, apportée par le vent.

La fusillade des deux côtés du ruisseau redouble de fureur.

Toujours à la fenêtre de la maison du bourgmestre, Espérat, miraculeusement préservé jusqu’à ce moment, regarde d’un œil vague.

Il est brisé de fatigue. Un brouillard flotte sur sa vue. Ses oreilles, déchirées par les coups de feu que Christian et ses camarades viennent tirer à côté de lui, sont emplies de bourdonnements douloureux.

La fièvre fait couler son sang dans ses veines avec une impétuosité de torrent, une brûlure de lave enflammée.

Sait-il seulement encore qu’à chaque instant une balle peut l’atteindre, comme ont été atteints ceux qui gisent autour de lui.

Il est probable que non.

Il vit sans conscience des choses, et si la mort le surprenait là, il passerait de vie à trépas sans s’en apercevoir.

C’est curieux, la rumeur bourdonnante en ses oreilles s’apaise.

Que se passe-t-il ?

Il promène autour de lui un regard surpris. Dans le salon, deux êtres seulement sont encore debout.

Christian Wolf qui recharge son arme, et lui-même, les poignets toujours attachés derrière le dos.

On ne tire plus du côté des Prussiens. Sont-ils tous morts ? Ont-ils fui ?