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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/362

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— Peuh !

— Ma venue produisit l’effet d’un pavé dans la mare aux grenouilles. Les Français en Belgique !… L’armée prussienne en retraite sur Fleurus ! Lord Wellington en devint pâle, Brunswick cramoisi, ce dernier même se leva si brusquement qu’il jeta par terre l’enfant à cheval sur son genou.

— Que ne s’est-il aplati lui-même, gronda Blücher.

Le sourire du comte se fit plus sardonique.

— Ah ! quelle décampade, illustre feld-maréchal. En cinq minutes, les salons de la duchesse sont déserts. Les officiers en tenue de bal, courent affolés rejoindre leurs corps respectifs. Wellington donne des ordres, assigne les Quatre-Bras comme point de ralliement aux diverses divisions de l’armée. Je ne le quittais pas d’une semelle. Hier vers une heure et demie après-midi, nous arrivons aux Quatre-Bras, lui, moi et quelques aides de camp. Ah ! feld-maréchal, c’est là que j’ai compris que décidément le ciel se prononçait en faveur de notre cause.

Blücher haussa les épaules :

— Le ciel, c’est bien ; le canon, c’est mieux.

Stupéfait, grelottant d’une fièvre commençante, Espérat écoutait.

— Bon, fit allègrement le comte, le canon aussi était pour nous, car il se taisait. En voyant la faiblesse des détachements rassemblés sous les ordres du prince d’Orange, le digne hollandais, lord Wellington s’écrie : Si l’ennemi a seulement une division, nous sommes battus. Eh bien l’ennemi, commandé par Ney, avait plus d’une division et il n’attaqua pas. Ney était-il malade, comme le prétend le docteur Dikins, a-t-il des périodes d’abattement ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que ses troupes sont immobilisées, que la division anglaise de Piéton, les divisions de Brunswick, de Nassau, ont le temps d’arriver, d’occuper les Quatre-Bras. En deux heures, le nombre de nos soldats est porté de 8.000 à 50.000. C’est alors seulement que Ney attaque. Trop tard. Il a laissé passer l’instant propice. En vain il fait des prodiges de valeur. En vain la division Foy, les brigades Gautier, Bachelu le secondent de leur mieux ; en vain Jérôme Bonaparte, ex-roi de Westphalie, veut-il vaincre ou mourir pour son frère Napoléon, nous conservons nos positions. Et voyez, feld-maréchal, combien j’avais raison tout à l’heure en vous annonçant la protection visible du ciel, le corps du général Drouet d’Erlon qui eût pu, soit assurer la victoire à Ney, soit anéantir votre armée, s’est promené inutile entre les deux champs de bataille.

Le Prussien eut un geste arrogant.

— Anéantir l’armée prussienne !…