Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/361

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se glissa par ce semblant de brèche, non sans quelques égratignures.

Plus loin, il rencontra une cour bordée par des étables. En face de lui était la maison d’habitation, celle précisément dont la fenêtre lumineuse l’avait guidé.

Il s’avança avec circonspection, atteignit la muraille et se glissa jusqu’auprès de la croisée. Celle-ci était ouverte.

Des voix se faisaient entendre à l’intérieur, des voix qui firent tressaillir le jeune homme. Il les reconnaissait vaguement, sans pouvoir préciser où elles avaient frappé déjà son ouïe.

Redoublant de précautions, il arriva jusqu’à l’ouverture, avança un peu la tête et eut peine à retenir un cri d’étonnement.

Deux hommes étaient debout près de la porte opposée à la fenêtre, à laquelle ils tournaient le dos.

Dans ces deux personnages, Espérat venait de reconnaître le généralissime prussien Blücher et le comte de Rochegaule d’Artin.

Comment celui dont il était captif le jour même et celui qui avait brisé sa vie se trouvaient-ils réunis en ce lieu ?

Les mauvais génies de son existence ainsi rassemblés l’inquiétèrent.

À quelle besogne inique, à quel monstrueux complot se livraient-ils dans ce hameau endormi ?

D’un effort suprême, Espérat chassa le sommeil, il contraignit son esprit à se fixer pour un moment, il écouta :

Voici ce qu’il entendit :

— J’arrivai à Bruxelles hier, dans la nuit, disait d’Artin ; au logis de lord Wellington, j’appris que le vaillant général assistait à une fête, donnée en son honneur par sa compatriote la duchesse de Richmond.

— Ah ! ces Anglais, grommela Blücher, toujours à table ou en fête. Et pendant qu’ils se gobergent, nous supportons tout l’effort de l’ennemi.

Le comte s’inclina respectueusement.

Espérat regardait maintenant, rassuré par l’inattention des causeurs. Pas un geste ne lui échappait.

— Et Wellington dansait, reprit le Prussien avec mépris ?

D’Artin ricana :

— Non, feld-maréchal, il flirtait, comme on dit en Angleterre. Je le trouvai dans l’embrasure de la fenêtre, accablant la duchesse de propos galants, sous l’œil paterne du duc de Brunswick, qui, allongé en un fauteuil, faisait sauter un jeune enfant sur ses genoux[1].

  1. Mémoires du duc de Brunswick.