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XIX

La Maison Carrée


La porte, une bonne porte flamande, bonasse et hospitalière, n’avait point de ces serrures compliquées qui obligent l’hôte à se morfondre au dehors.

Un simple loquet en assurait la fermeture. Marc Vidal et Espérat le constatèrent avec joie.

D’Artin croyait donc bien n’avoir rien à craindre, qu’il se fût établi ainsi, dans une habitation si peu défendue ?

Ils allaient le surprendre, lui ravir Lucile. Une expédition si bien commencée ne pouvait mal finir.

La jeune fille guérirait, et dans Paris, joyeux vainqueur de la coalition européenne, sous les trois couleurs triomphantes, Vidal épouserait l’héritière des Rochegaule.

Le commandant, le jeune homme, eurent un dernier regard vers l’est, vers le Mont-Saint-Jean dont la crête, couronnée des fumées de l’artillerie, prenait l’aspect d’un volcan en éruption, puis délibérément, Espérat appuya sur le loquet et poussa fortement la porte.

L’huis s’ouvrit au large, d’un seul coup, sur une pièce spacieuse. Le haut plafond à caissons, la cheminée de bois sculpté donnaient à la salle cet air digne et cossu, particulier aux demeures de la bourgeoisie flamande.

Mais ce qui appela les yeux des nouveaux venus, ce fut un groupe de personnes rassemblées à la droite du foyer.

Étendue sur un fauteuil la tête renversée en arrière, Lucile était là, et debout auprès d’elle, le comte de Rochegaule d’Artin et Denis Latrague se tenaient immobiles, semblant écouter la folle qui chantait doucement un air simplet comme les aimaient nos aïeules.

D’un geste, le comte invita les arrivants au silence.

Étonnés, ceux-ci s’arrêtèrent sur le seuil.