Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/390

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Ils ne se sentaient plus la force de faire un mouvement, de dire, une parole. Le rêve tragique de la folie les affolait, les annihilait, jetait l’hallucination en leur crâne.

Était-ce vision, était-ce réalité ? À qui leur eût posé la question, ils auraient certainement répondu : Je ne sais plus.

Avançant, murmurant de courtes phrases :

— Il mange. Il ne voit rien… C’est l’heure du courage, l’heure de l’évasion !

Lucile était arrivée tout près d’Espérat.

Elle le contempla un instant, eut un rire tremblotant, sinistre, rire de démoniaque ; d’un mouvement si rapide que le jeune homme n’eut pas le temps de s’éloigner, elle leva le bras armé du couteau et l’abaissa en rugissant :

— Meurs, bourreau de ma jeunesse !

— Lucile, gémit le jeune homme.

Singulière sensibilité de la folie ! le mouvement commencé s’interrompit. Le bras de l’insensée retomba à son côté.

Milhuitcent n’avait pas été touché. Et comme il allait parler encore, la jeune fille reprit :

— Tu as raison. Non, pas le couteau… ; cela laisse du sang aux mains…, du sang que rien ne peut effacer.

Elle jeta le couteau au loin, courut à la table sur laquelle était resté le pistolet de d’Artin, prit l’arme, et joyeusement :

— C’est cela… ; le pistolet frappe de loin, aucune tache ne désigne la main qui a puni.

Elle brandissait l’instrument de mort d’un air menaçant.

Terrible était la situation. Ces deux hommes, ligotés, incapables de désarmer cette folle en proie à une crise meurtrière.

Soudain, la porte se rouvrit. Le comte et Denis Latrague entrèrent.

La physionomie du gentilhomme félon décelait une joie débordante. Il se tourna vers ses prisonniers. Ses lèvres eurent un ricanement, elles frémirent joyeuses des mots à prononcer.

Qu’allait-il dire ?

Les assistants devaient l’ignorer toujours.

À la vue de d’Artin, Lucile s’était ramassée sur elle-même, les yeux dilatés, avec quelque chose de terrible et de terrifié dans le regard.

Brusquement, elle bondit en avant, lança un cri rauque :

— C’est lui !… C’est lui ! Non, tu ne seras pas mon maître.