Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ouvrez vos doux yeux.

Éperdus, bouleversés par la rapidité des événements, ils n’avaient plus conscience de ce qu’ils disaient.

Une crainte seule surnageait dans le désordre de leurs pensées.

Cette crise terrible n’avait-elle pas brisé les ressorts de la vie chez la pauvre enfant, qui, à l’âge où d’ordinaire on ne connaît encore que le sourire et la joie, avait déjà vidé jusqu’à la lie le calice d’amertume.

Quelques minutes d’angoisse aiguë suivirent.

Puis Lucile fit un mouvement. Ses mains se crispèrent, se portèrent lentement à son front. Ses paupières eurent des palpitations, ainsi que les ailes du papillon au moment de l’envol ; elles s’ouvrirent enfin, démasquant les grands yeux, ces yeux si semblables à ceux d’Espérat.

Les deux hommes eurent le même appel tendre, dévoué.

— Lucile ?

Mais à leur profonde surprise, elle répondit :

— Espérat, mon frère ; Marc Vidal !

Ah çà ! Elle les reconnaissait. Le voile jeté sur son cerveau par la démence s’était-il donc déchiré ? Elle reprit :

— Je vous revois. Comme il y a longtemps que j’étais dans la nuit, loin de vous.

Il n’y avait plus de doute. Devant la suprême commotion subie à l’instant, la folie avait battu en retraite. Et Lucile s’étonne de l’attitude de ses interlocuteurs :

— Quoi ? Qu’avez-vous donc ?

Ses yeux distinguent les cordes qui les enserrent :

— Garrottés !

Ils courbent la tête. Vont-ils devoir donner à la jeune fille l’explication douloureuse, risquer de jeter de nouveau en son cerveau la semence fatale des démentes confusions ? Non. Elle vient à eux, les débarrasse de leurs liens. Elle va interroger, mais le fracas de l’artillerie frappe ses oreilles :

— Qu’est-ce ? On se bat.

Doucement, Espérat murmure :

— L’Empereur.

— Il est vainqueur, reprend-elle ?

À la question les deux hommes se sentent frémir. Ils ignorent tout de la bataille de géants dont le tumulte a, tout le jour, assiégé leur pensée captive.

Enfin Marc Vidal trouve la force de répondre :