Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/49

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long exil), sur laquelle s’ouvrait un exemplaire des Odes d’Horace, annoté de sa main. Sa Majesté était un latiniste distingué.

Sa jambe gauche, enveloppée de flanelle et démesurément enflée, s’étendait sur un tabouret bas.

Nonobstant cette attitude de malade, Louis XVIII paraissait fort animé ; il accablait les assistants de reproches mérités, il faut le dire.

Sec, la figure ironique et froide, le comte d’Artois laissait passer l’orage avec un flegme exaspérant. La pétulante duchesse d’Angoulême, au contraire, et son beau-frère, duc de Berry, faisaient tête à la mercuriale.

— Voyons, disait le souverain, voyons, Charles, mon frère, la situation est assez difficile pour moi, sans que vous l’aggraviez encore. Pourquoi augmenter les divisions ?

Le duc de Berry leva la main, avec le geste gamin d’un écolier :

— Sire.

Le roi s’arrêta surpris :

— Qu’est-ce encore, mon beau neveu ?

— Je sollicite la faveur de répondre à votre question.

— Laquelle ?

— Pourquoi augmenter les divisions ?

— Ah ! vous avez quelque chose à dire à ce sujet. Parlez donc. Aussi bien, il serait plus facile de faire remonter un fleuve vers sa source que d’imposer silence à votre langue.

— Je remercie Votre Majesté de cette comparaison que je considère comme un compliment. Je voulais vous déclarer, mon bon oncle, continua le prince d’un ton soumis, qu’ayant lu Machiavel, je pense avec lui qu’il faut diviser pour régner.

À cette sortie, le roi écrasa son crayon sur la table :

— Là… Voilà bien l’écervelé !

Et s’adressant au comte d’Artois :

— Mon frère, c’est à vous que je veux parler, et non à ces enfants. Vous avez cinquante-sept ans sonnés, la raison doit donc trouver le chemin de votre esprit. Rentrés en France, au bruit du canon et de la fusillade, nous avons promis la paix. Après une ère de combats, la paix est notre raison de régner. Or, tandis que je présente à la foule le rameau d’olivier, vous prêchez la guerre civile.

— Vous êtes sévère pour un frère dévoué, répondit froidement l’interpellé.

— Eh ! quittez un peu ces façons, je préférerais vous voir moins respectueux et plus docile. Certes, j’apprécie les sentiments qui vous gui-