Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/52

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est là pour le prouver, la persécution a toujours accru les forces de ceux qui étaient attaqués. Et puis, ne consentirez-vous pas à songer, avec moi, que les malheureux ont combattu pour le pays, en somme, et qu’il est dur de les voir dans la misère, de voir les capitaines toucher 73 francs par mois et les lieutenants 44.

— Penh !

— Vous ne me comprenez pas, tant pis. Aussi bien je suis obligé de passer condamnation sur ce point. Pour réparer, étant donnée la situation financière, il faudrait licencier ma garde et mes compagnies rouges, c’est-à-dire jeter sur le pavé tous les gentilshommes qui vivent de leur solde. Ce serait déplacer le mal sans le guérir.

Il y avait une tristesse dans l’accent du roi.

Louis XVIII, au fond, était bon. Par malheur, il ne possédait ni la santé, ni la décision nécessaires pour reconquérir une nation que la Révolution avait émancipée.

Il continua cependant :

— Par contre, certaines légèretés, qui heurtent le sentiment national, peuvent et doivent cesser.

Ses yeux clairs se fixèrent sur le comte d’Artois :

— Ainsi, vous, mon frère, vous entretenez dans votre logis un véritable foyer de discordes.

— Moi, Sire ?

— Vous-même. Qu’est cette contre police que vous dirigez, souvent à l’encontre de la mienne ? Que sont ces conciliabules, tenus au Pavillon de Marsan, avec des gens chez lesquels le royalisme est une épilepsie, conciliabules qui causent tant de duels.

— Je croyais servir mon frère.

— Non, vous vous vengez du passé. Et je souhaite que l’on ne se venge pas. La seule vertu digne de la Victoire est la Clémence.

Louis XVIII, on le voit, avait de nobles idées. Jeune, actif et vigoureux, peut-être eût-il réussi à apaiser les esprits ; mais hélas, le souverain podagre, proche de la soixantaine, était impuissant à dominer les passions de son époque.

Son entourage le savait bien. Aussi acceptait-il avec une condescendance tranquille, les admonestations qu’il lui infligeait périodiquement.

— Partout, continua le roi, vous entretenez le mal. Vous poussez les gazettes à publier que les biens d’émigrés, acquis par des citoyens français, vont être restitués à leurs anciens possesseurs, oubliant que ces acquisitions ont été légalement faites, et que l’État en a perçu le prix.