Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/67

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Puis s’adressant à un homme de haute taille, à la face basanée, trouée par des yeux brillant ainsi que des escarboucles :

— Colonel Faberot, vous avez la parole.

L’interpellé se dressa dans une attitude militaire impeccable.

— Dix duels avec les émigrés.

— Résultat ?

— Neuf ne crieront plus : vive le roi !

Un murmure approbateur s’éleva dans l’assistance.

— Et le dixième, reprit M. de La Valette ?

— Celui-là s’en est tiré. Il a blessé grièvement son adversaire, le capitaine Laurent.

— Où est le blessé ?

— Rue de Valois, chez un ami. Il en reviendra. Quant à l’émigré, je l’ai suivi. C’est un certain chevalier d’Arneville ; je le tuerai demain.

Et sur ces mots, prononcés avec un sang-froid effrayant, le colonel se rassit tandis qu’un lourd silence pesait sur la réunion.

— Ah ! murmura La Valette avec tristesse ; ces luttes fratricides entre Français ; dire que cela est nécessaire pour réchauffer le patriotisme d’un peuple qui a fait trembler le monde !

Il passa sa main sur son front comme pour en chasser le nuage dont il était assombri.

— À vous, Monsieur Tercelin.

— Mes hommes et moi, répliqua le père adoptif d’Espérat, avons distribué dix mille cocardes tricolores.

— Bien. Avez-vous vu des généraux ?

— Oui. Seulement tous craignent de prendre une initiative. Si un mouvement populaire se produisait, ils se décideraient peut-être. Mais jusqu’à nouvel ordre, ils demeurent fidèles au nouveau gouvernement.

— Même Ney, que l’Empereur honorait d’une faveur si particulière ?

— Même Ney.

— Bon, s’exclama une voix joyeuse, s’il ne faut qu’un mouvement populaire, on le créera.

Et un grand garçon dégingandé, portant le costume des charpentiers, se dressa au milieu des auditeurs.

— C’est Capeluche, dit à voix basse Henry.

M. de La Valette sourit :

— Ah ! Ah ! tu as confiance, toi, mon brave ?

— Pour sûr.

— Tu es un garçon intelligent, Capeluche.