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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/11

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Comme on le voit, le Saxon, encore qu’il eût gourmandé l’Italien, se trouvait exactement dans la même disposition d’esprit.

Ce fut Candi qui se ressaisit le premier :

Per Bacco ! On né fait pas des omelettes sans casser des œufs !

— Certes, mais…

Ma, ma… il n’y a pas de ma qui tienne, si nous avions été des honnêtes gens, qué sérait lou pétit ? Jé té le démande… Un povero déguenillé, mangeant du pain noir et se gargarisant la bouche avec dé l’eau… Au lieu dé ça, il est ingénieur, c’est un signore, l’avénir lé plous brillant s’ouvre devant loui. Eh bien, ma… nous risquons chaqué jour les galères, la potence et lé reste… Qué ça fait. Notre carcassé, elle était condamnée dé naissance… Ma, loui, c’aurait été trop triste, trop désolante…

Et brusquement :

— Toi, voyons, l’Inglese calme, tu aurais pu lé voir souffrir, pleurer ?… Moi pas… Zé té lé dis, j’aurais massacré le monde, jé l’aurais mis en saucisson, en mortadelle, pour faire rire lou pétit.

— Et moi, by God, gronda Crabb, malgré mon loyalisme bien connu, j’aurais mis l’Angleterre et le roi lui-même en la forme d’un plum-pudding.

Les deux hommes se serrèrent énergiquement la main :

— Aussi, le doux, il était si brave, si plein de gentillesse quand nous le trouvâmes, il y a quinze ans…

— Au pied d’une meule de foin, près d’Auxerre, en France.

— Nous étions bohémiens alors.

— Et lui pleurait parce que, by God, parce qu’il avait pas de père, et pas de mère non plus, et pas d’amis davantage, et pas de pain encore à mettre en dedans de son estomac.

— Moi, il a été de suite mon adoration.