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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/35

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— Vous vous êtes découragé bien vite.

Il désigna sa joue saignante :

— Voulez-vous que je tente encore l’aventure ?… Dites un mot et je m’éloigne. Ce qui m’a ramené ici, ce n’était pas la crainte de mourir, mais celle de vous laisser seule, sans appui, sans secours, au milieu de cette averse infernale dont l’ardent rideau nous sépare du monde.

Il y avait tant de loyauté, tant de résolution, dans son accent, qu’elle se sentit émue. Elle tendit la main à l’ingénieur.

— Pardonnez-moi, l’anxiété me rend injuste.

Il serra, entre ses doigts la petite main frémissante et, avec une sorte de dévotion, il murmura :

Je suis à vous, votre serviteur, votre chose. Ordonnez, j’obéirai.

— En ce cas, faites que je ne reste pas en face de ma pensée ; elle m’épouvante. L’éruption nous condamne à l’inaction ; parlez-moi, contraignez ma pensée à ne pas se torturer elle-même. Il me semble que la folie étreint mon cerveau.

— Ah ! gémit-il, ma pensée est trouble, confuse ; elle échappe à ma volonté !

— Laissez-moi vous interroger.

— Oh ! cela, volontiers.

— Votre nom ?

— Jean.

— C’est un prénom cela.

— Je ne me connais pas d’autre appellation. Abandonné tout enfant, j’ai dû à la charité de deux…

Il hésita une seconde, puis acheva :

— De deux personnes la faculté de faire mes études, d’entrer à l’École Polytechnique de Paris, d’obtenir le titre d’ingénieur.

— Ingénieur ! s’écria-t-elle vivement ; vous êtes ingénieur ?

— Oui, mademoiselle.

— Ingénieur, lui aussi ! fit-elle.