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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/365

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dace, d’inquiétude, de confiance et de crainte, il ajouta :

— La justice ! la justice des hommes, s’entend, est boiteuse, boiteuse comme moi, Alcidus Noguer.

Sa physionomie s’éclaira.

— Bah ! Ma claudication ne m’empêche pas de courir ; la justice aussi courra, et elle atteindra les coupables.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le teatro de Sao-Domenco est une ancienne halle au manioc, que l’on a disposée en salle de spectacle rudimentaire.

À l’une des extrémités, on a dressé une scène élevée de un mètre quatre-vingts centimètres environ et n’ayant aucune communication avec la salle proprement dite. Un rideau s’enroulant sur un cylindre de bois a été peint par quelque peintre naïf de la région. Il représente une tenture écarlate, frangée de jaune.

La salle se compose d’un parterre, où s’alignent des bancs. Tout alentour, des caisses figurent les loges. Une seule porte accède de cette salle au vestibule où se tient le contrôle.

Or, ce soir-là, la recette promettait d’être exceptionnellement brillante.

Sur les bancs, les commerçants, petits bourgeois, peones, gambusinos, indios mansos (Indiens soumis), se pressaient, se coudoyaient, s’étouffaient, montrant jusqu’à l’évidence les admirables propriétés de compressibilité du corps humain.

Dans les boxes-loges, la haute société de la ville trônait, étalant ce luxe étrange des créoles et des métis ; luxe tout extérieur, où des bas troués et du linge douteux sont recouverts par des velours, des soies, façonnés chez les plus réputés, les plus chers, des artistes de la mode de l’ancien continent.

Dans l’air flottaient des parfums violents, mêlés au relent musqué des foules de couleur.

On eût dit une sorte de parodie des élégances européennes, exécutée par un peuple enfant, à peine né à la civilisation, et qui en a compris, non les tradi-