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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/393

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La face paisible du courtier se décomposa soudain. Il fouilla vivement dans ses poches, puis d’un ton lugubre :

— J’ai oublié ma pipe là-haut.

— Bah ! je vous offre une cigarette.

— Non, meinherr, la cigarette ne vaut rien pour causer philosophie.

— Vous dites ? s’exclama Pedro, intrigué par cette singulière affirmation.

— Que la pipe est tout, meinherr ; qu’avec elle, le cerveau se clarifie, que les arguments arrivent plus nombreux et plus forts, et qu’aucun pays ne peut se vanter de lutter sur ce chapitre avec l’Allemagne, à cause de la pipe. Toute notre supériorité philosophique est là.

Il se leva.

— Je vais chercher mon inspiratrice.

— Permettez que je vous accompagne.

— Point, point. Je ne souffrirai pas. Je reviens à l’instant, meinherr.

Et le courtier partit en courant par l’une des petites allées du jardin.

Pedro resta seul.

Il se remémorait les exclamations bouffonnes d’Alcidus cherchant sa pipe, et ses traits exprimaient une vague tendance à l’hilarité.

Le moyen d’ailleurs de rester grave en face d’affirmations aussi bizarres que celles d’Alcidus, touchant le bon voisinage indispensable de l’appareil fumifère et de la science philosophique.

Le boiteux, décidément, lui apparaissait comme un personnage hilarant et un brave homme. Il se rappelait aussi la visite courtoise que lui avait faite, la veille, le digne Allemand, et le plaisir, qu’il semblait éprouver, à le féliciter de l’heureuse issue du procès d’Olivio contre la señorita Stella.

— Une bonne pâte d’homme, dit-il à haute voix, une bonne pâte !

— Vraiment oui, señor, répondit une voix ferme qui résonna tout près de son oreille.

Le gouverneur se retourna vivement et poussa un cri. Jean était devant lui.