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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/396

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rotta ne remplit pas son odieuse destination. Promettez qu’en ce cas, nous commencerons, ce soir même, le petit voyage que je vous proposai hier, afin de vous fournir la preuve de la culpabilité de celui qui s’est fait accusateur.

Le gouverneur hésita. Il y avait une telle assurance dans l’accent de l’ingénieur, une telle franchise se lisait dans son regard, qu’il n’osait promettre.

Ce diable d’homme trouverait peut-être encore le moyen de paralyser la garrotta, et alors, irait-il lui-même, lui, Pedro, à la recherche de l’opprobre de son frère ?

Ce Jean était fou. Fait-on pareille proposition à un frère, dont le cœur saigne sous la blessure du seul doute ?

Mais comme s’il eût lu dans sa pensée, le Français murmura :

— C’est à l’honnête homme que j’adresse ma supplique.

Une rougeur ardente monta aux joues du gouverneur.

Honnête homme, il l’était ; et cependant combien il venait d’être près, par une lâche complaisance, de perdre tout droit à ce titre, à la conquête duquel il avait consacré sa vie.

Aptes tout, le soupçon devenait intolérable ; quelle existence couleraient désormais les deux frères, avec, entre eux, l’abîme creusé par la défiance ?

Et puis, et puis, la faiblesse de l’humaine nature soufflait cela à l’oreille du gouverneur ; toutes les précautions prises, et bien prises, il ne serait sans doute pas au pouvoir de Jean d’arrêter la marche de l’appareil de justice. Aussi, comme l’ingénieur ajoutait :

— J’attends votre réponse.

Pedro répondit :

— Je promets.

Un moment encore, les deux interlocuteurs demeurèrent en présence, croisant leurs regards, puis l’ingénieur salua profondément :

— Señor, je ressens l’angoisse que vous avez dû vaincre pour prendre l’engagement sollicité par moi.