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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/7

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une coulée de boue chaude qui avait détruit et enlizé les usines établies sur son cours.

Au delà se dressait le mont Pelé, le volcan qui, après un repos de trente-quatre ans, venait brusquement de sortir de sa léthargie, et dont le cratère se couronnait d’un épais nuage de fumée rousse.

— Li manger Saint-Pierre, répéta la vieille négresse en agitant sa tête coiffée d’un madras rouge… Les anciens l’ont dit…

Elle fit bouffer sa jupe de cotonnade blanche rayée de rose, et d’un ton solennel :

— Li cratère s’était comblé… ; un ti lac avait niché lui dedans… Les anciens ont dit : Li volcan boire le ti lac, et après, dévorer Saint-Pierre.

Son interlocuteur ne répondait plus.

C’était un beau garçon de vingt-quatre à vingt-cinq ans, au visage ouvert, éclairé par des yeux bleus, doux et résolus. Sa moustache coquettement retroussée ombrageait une bouche rieuse. Blouse de chasse, culotte bouffante, guêtres de toile et chapeau de paille composaient son ajustement. Juché sur un petit cheval roux, qui profitait de l’inattention de son cavalier pour brouter les herbes sa portée, le jeune homme était tout à la contemplation du panorama étalé derrière lui.

Soudain, il abaissa son regard sur la négresse.

— La rivière Blanche coule de la boue et de la lave… Elle me sépare du mont Pelé… Ne m’as-tu pas affirmé qu’il existait un pont où je pourrais la franchir ?

— Si, si, massa… Mais j’ai dit à massa : Toi mieux faire pas aller là-bas… montagne Pelée en colère…

— Ne te donne pas tant de mal pour m’effrayer… Le navire qui me transporte en Colombie a fait escale, cette nuit, sur rade de Saint-Pierre… À cinq heures du matin j’ai quitté la ville ; il en est six, et je dois me retrouver à bord à dix… ; j’ai donc juste le temps de rendre visite à ce digne volcan…