Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/102

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— Ce ne vous serait pas un chagrin cuisant s’il leur arrivait malheur ?

— J’hériterais de deux mille dollars que je n’aurais plus à leur payer.

— Alors, tout est au mieux ! Dans une entreprise comme la nôtre, quand on déchaîne les Indiens, il est assez difficile de leur dire : « Frappez ceux-ci, épargnez ceux-là. »

— En effet.

— D’ailleurs, des chasseurs accoutumés à la prairie doivent savoir se tirer d’affaire tout seuls.

— Je partage votre avis, mon révérend.

À ce moment, un bruit de pas, accompagné de cliquetis d’acier, retentit dans le patio.

Le gouverneur mit un doigt sur ses lèvres et vivement :

— Voici notre homme. Il s’agit de le gagner à notre cause, afin que la France ait à nous remercier d’avoir protégé un de ses nationaux contre les embûches tendues par les fourbes Sud-Américains. La France, c’est l’opinion de l’Europe avec nous.

Dans l’encadrement de la porte, Scipion Massiliague paraissait, escorté par le lieutenant Wilde et par deux miliciens armés.

En apercevant Sullivan, le Marseillais tomba en arrêt :

— Té, fit-il, c’est ce drôle !

Le poing fermé, il fit un pas vers Joë, mais ses gardiens le retinrent aussitôt.

— Lâchez-moi, mes colombes, s’écria le brave garçon… le temps de lever le pied deux ou trois fois en l’honneur de ce faquin…

Et comme les soldats le maintenaient de plus belle, il regarda alternativement le lieutenant Wilde et le capitaine Hodge :

— Bagasse ! Des officiers s’opposent à ce que je botte un couard, un bonneteur du duel, qui résout une affaire d’honneur par un coup de Jarnac ! Gentlemen, le mépris pousse dans mon cœur, comme un cactus dans une serre !

Le brave Méridional était lancé, sa verve inépuisable allait cingler les assistants durant de longues minutes ; mais la voix sèche du révérend Forster se fit entendre :

— Silence, disait le gouverneur. Silence, monsieur Massiliague. Veuillez me prêter une oreille attentive.