Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/106

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dents, tout en réjouissant sa pensée de ce monologue :

— Va bien, mon fils, va bien. Le gouverneur t’a servi une superbe galéjade de son pays. Compte qu’un citoyen de Marseille va digérer pareille balourdise… Tu m’as pris pour une bécasse, mon bon… attends… je vais t’assaisonner à l’huile. Vé ! N’ayons pas l’air d’avoir l’air… Le myope volontaire a de bons yeux… Une sardine ne bouche pas l’entrée du port… Je te glisserai entre les doigts… Dioubiban ! Et je joindrai cette petite Mestiza que tu traites de menteuse.

Il engloutit une énorme bouchée et termina :

— Pauvre bonhomme du Nord… ça veut souffler dans les voiles latines… Pas d’haleine, mon bon… À bon vent la tartane et gouverne bien… Le dernier qui rira, pitchoun, ça sera pas toi.

Comme on le voit, Scipion n’était pas aussi persuadé que le supposait le révérend Forster.

Du reste, aucun mot ne trahit la méfiance du joyeux Marseillais ; aussi quand, huit jours plus tard, on le conduisit à la gare du fort Davis et que le train se fut ébranlé, emportant Massiliague et deux officiers, affectés à sa garde, le pasteur s’écria le plus sincèrement du monde :

— Le plus difficile est fait. Occupons-nous à présent de Dolorès Pacheco.

Durant le voyage, Scipion causa gaiement avec ses compagnons. À le voir, nul n’aurait soupçonné qu’il dissimulait.

Comment se défier d’ailleurs d’un être dont la langue est sans cesse en mouvement, d’un être qui raconte sa jeunesse, sa vie, ses affaires commerciales, ses amitiés, qui semble professer pour la discrétion un mépris poussé jusqu’à l’épouvante ?

Les officiers échangeaient fréquemment des regards railleurs. Évidemment ils se gaussaient du pauvre sire. Tant et si bien qu’en arrivant à Aurora, après trois jours et trois nuits de sleeping-car, ces messieurs n’avaient plus aucune méfiance de leur prisonnier.