Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/130

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Porcs, bœufs, moutons, fauves, volailles sont dirigés vers des abattoirs distincts, et la grande tuerie s’opère, foudroyante, terrifiante.

L’animal est assommé par une massue à vapeur ; un croc, mû par le même moyen, le saisit, l’attire devant un ouvrier qui lui coupe la gorge, devant un second qui lui coupe la tête, devant un troisième qui le fend par le milieu, et ainsi de suite.

Dépouillé de sa peau, vidé, le corps arrive, trois minutes après la mort, près d’une énorme chaudière où il est plongé tout entier. En cinq minutes, il est cuit, retiré du récipient et dirigé sur un autre atelier, où on le détaille, où l’on classe les morceaux… envoyés aussitôt dans d’autres chantiers où ils sont transformés en viandes de conserves, extrait de viandes, bouillon, saucisses, vessie, galantines, purée de viande, viande aux légumes, etc.

Des wagonnets se croisent, emplis de têtes, d’os, d’entrailles, de quartiers de bœufs. Une armée de cuisiniers les reçoit, les accommode. Puis les metteurs en boîtes pèsent les mixtures à la balance automatique, les mettent en boîtes que l’on expédie, séance tenante, vers tous les points du globe.

Le soir, les parcs sont vides ; on les remplira la nuit pour le lendemain, et de tous les animaux vivants le matin, il ne reste plus rien à l’usine. Les conserves roulent sur tous les railways, dans toutes les directions : les peaux sont emportées ainsi que les cornes vers Saint-Louis ou vers Chicago-Ville, les laines vers New-York, les soies vers Québec. L’usine à tuer se ferme, s’endort, se repose après qu’un fleuve d’eau y a coulé pour la nettoyer.

Massiliague se sentait bouleversé. Cette immense hécatombe, l’odeur fade du sang, de la chair, lui donnait la nausée, et il eut un soupir de soulagement lorsque la visite prit fin.

Toutefois, il n’avait pas perdu de vue ses projets d’évasion.

— Ma foi, dit-il, je veux conserver un souvenir de ce spectacle.

Et en phrases pressées, comme un homme dont le désir martèle les paroles, il expliqua qu’il souhaitait reproduire en bois découpé l’un des établissements du Stock-Yard.

Les misses le félicitèrent de cette pensée qui flattait leur « chauvinisme industriel ».