Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vous venez de doter cette enfant d’un frère, je veillerai sur elle de même que si j’étais votre fils.

Il s’arrêta. L’hacendado était devenu atrocement pâle.

— Qu’avez-vous señor ?

— Un souvenir… Je pourrais avoir un fils à peu près de votre âge… bon et brave comme vous.

— Je regrette d’avoir éveillé votre mémoire.

— Ne regrettez rien… Comme un fils, avez-vous dit… et mon trouble m’a fait vous dévoiler le secret du passé. Peut-être le destin veut-il que vous sachiez tout. Écoutez donc.

Jusque-là les deux hommes avaient causé debout.

À cet instant, Fabian avança un siège à son interlocuteur, et s’étant assis lui-même :

— Il y a vingt ans, j’étais le plus heureux des hommes. Marié à une douce créature, je me nommais Fabian Roseraie. Je venais d’être père… j’avais un fils, âgé de quelques jours à peine. J’étais fou de bonheur. Sur le bambin vagissant, je formais des projets d’avenir, je le voyais déjà général, ingénieur, magistrat… Chimères adorables que connaissent tous les pères. Le vôtre, señor, a dû éprouver les mêmes ivresses.

Avec mélancolie, le Parisien murmura :

— Je ne crois pas, señor.

— Vous blasphémez en exprimant un pareil doute.

— Ma foi, riposta Cigale, je blasphème par ignorance, car je n’ai jamais connu mes parents.

— Jamais ?

— Non. Je suis un enfant trouvé, j’ignore même par qui, car lorsque j’ai commencé à me souvenir, je devais avoir de sept à huit ans. Aujourd’hui encore, je serais un pauvre diable, ignorant et miséreux, si ma bonne étoile ne m’avait fait rencontrer le prince Rundjee, un noble et bienveillant seigneur hindou, qui m’a en quelque sorte adopté, et auprès de qui est celle dont je ferai ma femme : Anoor, une mignonne fille du Pendjab, que nous avons arrachée aux mains des brahmes.

— Ah ! soupira l’hacendado ; mon Fabian a-t-il eu dans sa détresse le bonheur de rencontrer pareille affection ?

Le Parisien sursauta :

— Votre fils est donc vivant ?

Avec un geste désolé, Rosales balbutia :