Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/187

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— Je ne sais pas. Plus vite, comme s’il avait eu hâte d’achever :

— On me l’a enlevé. Sa mère est morte de chagrin. Le coupable, mon frère, oh ! honte, m’écrivit d’Amérique où il s’était enfui. Il se vantait de son crime. Il me haïssait parce que, à son avis, j’avais une chance supérieure à la sienne. Il me haïssait parce que, jeune fille, ma compagne m’avait préféré à lui. Ce lui avait été une sinistre joie de renverser notre bonheur. Ton Fabian, écrivait-il, tu ne le reverras jamais. Je l’ai condamné à l’existence des misérables. Enfin je suis vengé de ton insolente prospérité.

L’hacendado poussa un long soupir.

— En vain je cherchai, je mis la police, les agences de recherches sur pied. Tout fut inutile. Mon frère mourut peu après à la Nouvelle-Orléans pendant une épidémie de fièvre jaune, sans que j’eusse pu le voir, le supplier d’avoir pitié. Enfin désespéré, seul, ayant horreur des êtres et des choses que me rappelaient le passé, je quittai la France. Je vins au Mexique, j’acquis l’exploitation de San Vicente, et dans un labeur acharné je cherchai un dérivatif à ma tristesse. J’avais refait ma vie. Mes filles adoucissaient le souvenir de la disparition de mon fils. Il a fallu la démarche de Vera, démarche qui m’avertit qu’à leur tour elles quitteront ma maison. Il a fallu un mot de vous pour raviver ma blessure, pour m’arracher une plainte que mes lèvres avaient retenue jusqu’à ce jour.

Les mains unies, les deux hommes se regardaient, les yeux humides, unissant en un même regret l’adolescent privé de son père, le père privé de son fils.

— Comme votre Fabian, dit enfin Cigale d’une voix lente, je veillerai sur Vera.

Mais secouant son émotion.

— D’ailleurs vous nous accompagnerez sans doute, et nous serons deux pour écarter le danger de sa route.

Rosales inclina la tête :

— Oui, peut-être… Ne dites rien à cette pauvre petite de ce que je vous ai avoué… Apprenez-lui seulement que je ne m’oppose pas à ce qu’elle devienne Coëllo, le domestique. Elle a manqué de foi en moi. Ce sera sa punition de voyager en inférieur, au lieu de posséder l’équipage qui conviendrait à ma fille.

Il marqua une pause et acheva :