Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/258

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— Eh bien ?

— Quand nous aurons brûlé chacun nos cinq cartouches… ce sera fini.

Le Canadien était devenu livide. L’athlète se sentait vaincu par la fatalité.

— Ils arriveront ici, bégaya-t-il… Et elle… elle, elle sera prisonnière. À travers le désert, ils l’emporteront parmi les cactus, les nopals, dont les raquettes épineuses déchireront ses pieds. Ils la livreront aux Nordistes, et dans une prison, privée d’air, de lumière, la fleur du Sud s’étiolera.

D’un geste violent, il se frappa la poitrine :

— Et c’est ma faute, ma faute… mon crime !

Un effroyable rugissement coupa la parole au malheureux chasseur. D’un seul coup, à un signal donné, les Indiens s’étaient débarrassés des branchages qui leur servaient d’abri, et, peints en guerre, grimaçants, horribles, ils s’étaient élancés sur la pente de la colline en modulant leur rauque cri de guerre.

L’heure décisive a sonné.

Ainsi que des démons, les Apaches, les Comanches bondissent entre les rochers, s’excitant, se défiant à la course. Ils sont admirables d’intrépidité, et terrifiants aussi.

Lentement, accompagnant d’un regret chaque balle qui réduit leur faible provision, les assiégés tirent.

Tous les coups portent dans la masse grouillante accrochée aux flancs de la colline.

Des morts restent en arrière, étendus sur le sol, les bras en croix. Des blessés, arrêtés dans leur course furieuse, arrosent les rocs d’un sang vermeil et usent leurs dernières forces en hurlements de haine, en invectives à l’adresse des Faces-Pâles.

Méthodiquement, abattant un Indien à chaque fois, Francis Gairon a déchargé sa carabine à quatre reprises.

Il lui reste une cartouche.

Un instant il la tient entre ses doigts. Il la considère d’un air pensif. Enfin, il secoue rudement la tête et glisse le projectile dans le canon de son fusil.

Mais il n’épaule point.

Il a appuyé la crosse à terre et il regarde la marée humaine qui monte, qui monte toujours.

Un à un, les fusils des assiégés se taisent. Les cartouches sont épuisées.