Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/282

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— Un duel, malheureux… on ne sait jamais comment ça tourne… c’est très dangereux.

Et, paternel, ce brave des braves continue, la voix tremblante :

— Dangereux pour toi, s’entend… car pour moi… Mais je suis rangé ; de dix-huit à vingt-cinq ans, j’ai jeté ma gourme… toujours sur le terrain… j’ai tué six cents… ou six mille individus… Soyons modérés… mettons six mille… c’est assez !… c’est assez !…

En parlant ainsi, il était beau comme une incarnation de l’Humanité.

À ma place, un autre aurait tremblé ; moi, j’insistai :

— Que ça te fait, Bombardade, puisque…

— Ça me fait que je suis ton ami ; arrive voir.

Il m’entraîna au fond de son jardin. Là, dans un angle, une grande cible était appliquée au mur.

— Regarde, fit-il d’un ton sombre… tous les jours, à deux heures, je fais six balles et je ne peux pas mettre hors du noir. En duel, je voudrais te ménager, et malgré moi, je t’atteindrais en plein cœur. Non, Marcassou, non… cherche un adversaire moins adroit que moi.

Rascasse ! Je suis têtu comme une mule. Et puis, les bonnes idées ne courent pas les rues, même à Marseille. Je m’étais juré que Bombardade me blesserait pour me faire gagner la Louisette, eh bien ! il me blesserait, per lou diable !

Seulement, il me blesserait sans le faire esprès, voilà tout.

Chaque jour, à deux heures de relevée, il tirait six balles. Dès demain, je serai derrière la cible et il m’atteindra. Troun de l’air, té, on aime ou on n’aime pas. Mon sang coulera, et la Louisette sera mon épouse.

Dans la nuit, je creusai un trou à travers le mur de la bastide, juste en arrière de la cible, et le lendemain, à deux heures sonnant à toutes les horloges, j’étais là, debout devant le trou de la muraille.

Mon corps était protégé par une cotte de mailles, mes membres par des brassards et des jambières. Je n’avais laissé à découvert qu’un seul point de mon individu… Un point où il me semblait qu’une blessure serait peu grave… Dame ! on raisonne, quand on aime… on veut se conserver… pour se dévouer à sa fiancée.