Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/295

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L’ombre projetée par le corps de l’engagé le tira de cette extase. Il se tourna vers le nouveau venu, et lui montrant le lambeau d’étoffe :

— Son voile ! dit-il doucement.

Le chasseur haussa les épaules :

— Rien d’étonnant à ce que nous trouvions cela, puisque nous suivons sa trace.

Mais Francis l’interrompit rudement :

— Si. C’est la volonté divine qui a voulu, ne dormant pas, que mes jambes me conduisissent auprès de ce cactus, dont les raquettes épineuses avaient happé cette gaze. Ce chiffon me dit qu’il ne faut point de découragement… qu’il faut se remettre en route… qu’un jour elle saura la vérité et qu’elle pardonnera.

Le visage de Pierre exprima le doute, mais il ne jugea pas opportun de discuter, et avec sa soumission habituelle :

— Si vous jugez ainsi, chef, partons.

— Merci.

Gairon saisit la main de son compagnon, la serra à la broyer, puis glissant dans sa poitrine le fragment du voile de Dolorès, il se releva.

Un instant plus tard, les deux abandonnés quittaient le vallon.

La chance parut les favoriser d’abord. Vers minuit, ils rencontrèrent une source ombragée par un groupe de palmiers et ils purent étancher leur soif.

On leur avait laissé leurs gourdes. Ils les remplirent.

— Tu le vois, fit joyeusement Francis, notre situation s’améliore, nous n’avons plus à craindre que la faim.

— Oui, oui, répliqua l’engagé… mais elle commence à me mordre aux entrailles d’inquiétante façon.

— Bah ! marchons, marchons… Quand on est occupé, on songe moins à se dorloter.

Se dorloter, l’expression était comiquement cruelle, appliquée à des malheureux perdus dans la Prairie et dont l’estomac n’avait reçu aucune nourriture depuis trente-six heures.

Mais tel était l’état d’esprit de Pierre qu’il ne sourcilla pas.

De nouveau, les chasseurs arpentèrent la plaine, suivant la piste laissée par les sabots des chevaux,