Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/66

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— Non… celui auquel je songeais n’est pas un familier de l’hacienda… Il est venu en ce jour pour la première fois. Il en partira sous peu et n’y reparaîtra vraisemblablement jamais…

Un gémissement étouffé de Vera interrompit la jeune fille.

— Quoi… commença-t-elle…

— Ne gronde pas, Inès, supplia précipitamment la cadette… je sens que mon cœur cesserait de battre à l’instant si le señor Massiliague s’en allait pour toujours.

Toute la tendresse d’une âme ingénue vibrait dans l’accent de la mignonne créature.

Inès se sentit envahie par la pitié. Toutefois elle essaya encore de parler raison :

— Ma chérie, il ne saurait penser à toi, à l’instant où il se lance dans une entreprise hasardeuse.

— Pourquoi donc ? J’ai ouï dire que jadis, au pays de France, où naquit notre père, les gentilshommes se fiançaient avant de partir à la guerre, afin d’augmenter leur courage par un tendre souvenir.

— Oui, mais ces nobles étaient des gens graves, sérieux, tandis que le señor, lui, plaisante sans cesse.

— Son regard ne plaisante pas.

— Allons, allons, petite Vera, vas-tu me soutenir que tu l’as mieux observé que notre père ?…

— Non… notre père a une science bien plus grande que moi… mais aujourd’hui je ne suis plus la même que les autres jours ; il me semble que je lis dans la pensée de ceux qui se trouvent en face de moi.

— Enfantillage !

— Non, non, Inès, ne crois pas cela.

Et d’un ton triomphant :

— Si le señor Massiliague est tel que tu le dépeignais à l’instant, explique-moi comment la doña Mestiza, celle qui ne se trompe pas, celle dont la volonté a révolutionné cent millions de Sud-Américains, a placé en lui toute sa confiance ?

À cette question précise, Inès ne trouva rien à répondre.

Dans l’esprit des Hispano-Américains, où règne l’heureuse exaltation des poètes, la Mestiza était une messagère inspirée, suscitée pour créer la grande patrie du Sud. Telle Jeanne d’Arc dut apparaître aux habitants de France.

Même situation d’ailleurs. Naguère le doux pays de