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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

— Mort, dit-elle lentement.

Ses mains maigres se joignirent, son front se pencha, on eût cru qu’elle prononçait une prière intérieure.

Dodekhan la considérait avec pitié. Il respecta sa méditation ; puis, quand les doigts de la pauvre femme se disjoignirent, il lui saisit les poignets avec précaution, consulta le pouls :

— Deux heures, fit-il à voix basse. Nous avons deux heures à peine.

Puis avec un mouvement de tête volontaire :

— Bah ! on ne nous dérangera pas avant. Cela suffira.

Son regard noir pesa sur la moribonde dont les yeux s’ouvrirent démesurément, se rivant sur les siens.

— Femme, dit-il, auprès de mon père mort, j’ai trouvé un portefeuille. Il contenait des papiers qui m’assuraient l’héritage du proscrit… — ceci fut dit d’un ton d’orgueilleuse menace — et aussi, continua Dodekhan, l’héritage de sa reconnaissance.

Il s’arrêta un instant et reprit :

— Un carré de papier portait un nom de femme… Au-dessous étaient tracés ces mots : « 24 ans 10 mois. — Il y a deux mois et dix-sept jours de cela, — 24 ans, dix mois qu’elle fut arrêtée… La retrouver à tout prix pour la rendre à son mari, à son fils, que je veux riches. L’organisation de l’œuvre géante m’a empêché de la chercher. J’ai pu dire : Périsse la fille d’adoption de mon cœur, mais que l’œuvre soit. Que mon fils se consacre avant toute chose à la retrouver… C’est une dette sacrée que je lui lègue… »

— Et ?… questionna la moribonde haletante.

— C’était tout. Mais mon père me laissait aussi un terrible et mystérieux pouvoir. Au bout d’une semaine, je savais qu’une femme avait été arrêtée à Moscou à l’époque indiquée.

— Oui, gémit-elle, à Moscou.

— Elle avait été d’abord employée aux lavages d’or de l’Oural, puis transportée aux mines de cuivre de la région d’Irkoustk. Là, elle avait tenté de s’évader…

— C’est vrai ! C’est vrai !

— Alors on l’avait enterrée dans les houillères du Baïkal, perpétuellement inondées où les malheureux condamnés piétinent sans cesse dans la boue gluante et noire. Nouvelle tentative d’évasion…

— Pour rejoindre le mari, le fils que je ne reverrai plus.

— Je les verrai, femme, et mes yeux seront tes yeux.