— Infamie ! gronda le jeune homme.
— Ah ! vous avez raison, répéta la mourante avec une suprême énergie… infamie. Lui, nihiliste, lui dont les nihilistes se moquaient, alors qu’il leur disait : Ce n’est point par les bombes, ce n’est point par le crime que l’on fait libres les opprimés ; c’est par la volonté, c’est par la persuasion ; c’est par la force du nombre de ceux qui croient à l’éternelle justice.
— Ils ne rient plus aujourd’hui, murmura le Turkmène avec un orgueilleux sourire.
Elle le regarda, une interrogation avide dans les yeux.
— Il a donc triomphé ?
— Oui, madame. La puissance nihiliste est néant auprès de celle qu’il m’a transmise. Du Pacifique au Danube des millions d’hommes ont les yeux fixés sur moi, attendant un geste pour agir… si je le voulais demain…
Il s’interrompit brusquement et plus doucement :
— Continuez votre récit, madame, je suis ici pour apprendre comment je puis exécuter une volonté de mon père, et pour cela seulement.
Elle obéit docilement.
— Le marquis d’Armaris avait été avisé de la dénonciation portée contre Dilevnor : il l’aida à passer en Suisse, lui fournit les moyens de s’installer à Genève. C’est de là que le proscrit était revenu pour nous sauver d’un épouvantable attentat, dont un misérable, fuyant les lois, lui avait révélé les détails.
Mon oncle Hector, à bout de ressources, tombé de degré en degré à la honte, avait résolu de rentrer en possession du domaine d’Armaris, et pour atteindre ce but, de supprimer tous ceux qui se trouvaient entre lui et l’héritage du duc défunt.
Un narcotique stupéfierait un soir tous les habitants du château, maîtres et valets. Chacun serait porté sur son lit, soigneusement garrotté ; puis le feu, alimenté par un copieux arrosage de pétrole, consumerait castel et propriétaires ; Hector, officiellement à Londres, apprendrait l’accident, sans pouvoir être incriminé, et hériterait paisiblement.
— Le misérable ! fit sourdement Dodekhan.
Dans ses yeux noirs passa une lueur rouge, ardente, révélant l’âme terrible et passionnée qui se voilait de sa grâce hindoue.
Mais la Française poursuivit :
— Dilevnor, aussitôt avisé, était rentré en France. Il se dirigea vers Armaris, au risque de se faire prendre par la police, lui le proscrit, lui l’extradé.