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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

Et puis, Prince était jeune encore.

L’âpre expérience de la vie ne lui avait pas appris à lire sur les visages les traces des orages passés.

Sans cela il eût reconnu de suite que la milliardaire s’était transformée au physique comme au moral.

L’expression confiante, audacieuse, de ses traits, avait fait place à un voile de timidité ; son attitude était devenue réservée ; ses gestes, ses mouvements, jadis excessifs et sportifs, s’étaient atténués, adoucis, comme fondus en une décence générale.

En voyant ces effets, Albert en eut bien vite démêlé la cause.

Le jour où, dans un rayonnement d’aurore, la révélation s’était faite à la jeune fille que la tendresse, les qualités du cœur, sont plus enviables que la richesse colossale, elle, qui jusqu’alors avait été accoutumée à considérer toute chose comme pouvant être achetée, elle qui, de par le milliard de son père, se regardait comme invulnérable, invincible, elle s’était sentie faible.

Faible, oui, car devant elle s’était dressée la chose qui ne s’achète pas, mais qui se mérite, qui s’obtient par la vertu, la grâce, la bonté. L’affection lui avait dit : Tes millions ne sauraient me fixer sous ton toit ; je me donne, mais aucune richesse n’est assez grande pour m’acheter.

Et ce jour-là, la milliardaire, née, élevée dans une sorte d’Olympe doré, avait dépouillé la déesse pour devenir une jeune fille.

Maintenant, ces deux êtres restaient là les mains unies, sans rien dire.

À quoi bon découper en syllabes, en mots, en phrases, les pulsations du cœur. Quelle éloquence serait plus douce, plus enveloppante.

Sous leurs yeux, la foule défilait toujours. Passants rares, tramways, voitures, se succédaient.

Mistress Arabella Soda, en face, avait terminé son ménage et, commodément installée dans un fauteuil, elle feignait de lire, tout en observant les jeunes clients de l’hôtel, avec une curiosité que l’on rencontre sous toutes les latitudes, parmi les habitants des petites villes.

Non qu’elle fût méchante, mistress Arabella. Elle était gaie, bien portante, indulgente. La médisance commence avec les dents cariées, l’estomac capricieux et autres agréments du même genre.

Donc la brunette regardait les jeunes gens plutôt d’un air sympathique.

— Ce sont évidemment des fiancés, se confiait-elle. Ils sont très gentils et se regardent avec de petits yeux tout à fait aimables.

Puis, raisonnant selon les mœurs américaines, si différentes des nôtres :