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LE PRINCE VIRGULE.

Ainsi, il recueillait à droite et à gauche quelques politesses viniformes ou spiritueuses qui n’étaient pas ce qui lui plaisait le moins dans ses attributions.

Mais il n’avait pas fait vingt-cinq pas que Jephté le rejoignait tout essoufflé :

— Père Lisan, c’est pas le panier qui a remué, c’est la bouteille.

— Ah bah ! fit l’interpellé, la bouteille ?

— Non, ne faites pas de farce, père Lisan, rendez-la.

— Que je vous rende quoi ?

— Mais la bouteille.

— Quelle bouteille ?

— Eh ! celle que vous avez subtilisée.

— Moi ?

Le grognard fronça ses sourcils poivre et sel, sa face bronzée prit un ton de brique.

— Ah çà ! monsieur Fournier, est-ce que vous me prendriez pour un voleur ?

Et comme Jephté le regardait de cet air bête que prend fatalement un homme interloqué :

— Car enfin, si je vous avais pris une bouteille sans que vous me l’ayez donnée, j’aurais volé… et volé qui ? Des braves gens avec lesquels je viens de trinquer. Ah ! monsieur Fournier, vous avez parlé légèrement.

— Mais je pensais à une plaisanterie seulement… Voir en vous un voleur, est-ce que cela est possible ?

— Ah ! c’est différent.

— Alors, vous n’avez pas vu la bouteille ?

De nouveau, les sourcils gris se froncèrent, et Jephté, tremblant d’essuyer une nouvelle bordée de reproches, s’empressa d’ajouter d’un ton badin :

— N’en parlons plus, n’en parlons plus… Qu’est-ce qu’une bouteille dans l’existence ? Un souffle ! un rien !

— Cela est bien vrai.

Et, rasséréné, le père Lisan se laissa secouer la main par Jephté, qui s’en retourna auprès de son frère.

— Eh bien ? lui cria celui-ci.

— Eh bien, Sam, il ne l’a pas.

— Il n’a pas la bouteille ?

— Non.

Samuel gonfla ses joues, roula des yeux angoissés, et baissant le ton :

— Pourtant la bouteille a disparu.