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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

— Ah !

— J’avais vu votre portrait sur le bureau du gouverneur général… Car il s’y trouvait toujours.

— Cher, père, murmura la jeune fille émue.

— Je crus que c’était le regret d’une morte qui hantait le maître, et un jour que je le surpris, considérant la photographie avec des yeux humides, j’osai lui dire : Maître, on est plus heureux auprès du Très-Haut que parmi les hommes. Il ne se fâcha pas de ma liberté, car il me répliqua dans un triste sourire : « Ce n’est pas une morte, Jorda ; mais hélas ! je crains que bientôt ce ne soit une orpheline.

— Une orpheline, répéta Mona en pâlissant.

— Oui. Les succès des Japonais ne laissent aucun doute. Avant peu, Sakhaline serait attaquée par des forces supérieures… et le général Labianov étant résolu à défendre jusqu’à la mort le pays dont le tzar lui avait confié le gouvernement…

— Oui, oui, mon père ne se rendra jamais.

La servante hocha la tête d’un air pénétré, puis d’un ton grave qui impressionna son interlocutrice :

— Voyez-vous, Monaïtza, ce court entretien me laissa une préoccupation profonde. Chez nous, quand un danger nous menace, qu’il vienne de la colère des éléments, des hommes ou des fauves, nous nous réunissons tous dans la même isba (maison), pour lutter côte à côte, vaincre ensemble… ou partir en même temps vers ce paradis que nous a ouvert Celui qui est mort sur la croix.

— Ah ! vous avez bien raison.

— Les anciens le croient, et je le crois comme eux. Alors, j’ai pensé que le général, que vous-même, seriez heureux d’être réunis en ces circonstances critiques. Lui, ne pouvait pas venir à vous… je résolus de venir vous chercher… j’ai volé pour faire le voyage… le pope a eu ma mère à son service, j’étais sûre de n’être pas sans asile en arrivant à Pétersbourg… Et tout s’est arrangé… Un peu de difficultés jusqu’à Kharbine, les Japonais occupant la voie ferrée.

— Bon ! nous n’en aurons pas au retour, car j’ai un laissez-passer… avec lequel peut-être, à l’heure suprême, je pourrai sauver mon père…

Elle levait les yeux au ciel, toute sa petite âme concentrée dans ce désir de dévouement filial. Aussi, ne vit-elle pas le sourire énigmatique qui passa, rapide comme l’éclair, sur la physionomie de son interlocutrice.

Dès lors le départ était résolu dans l’esprit de Mona.