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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

sultant de la cuisson, de la compression du lichen de force, végétation glaciaire qui a des propriétés analogues à celles de la kola, lichen auquel a été mélangé de la viande hachée après congélation et de la farine d’avoine.

Les bonnes bêtes font honneur à la collation qui répare leurs forces ; puis on repart.

À midi, sous les rayons embrumés d’un soleil rouge, très bas sur l’horizon, on s’arrête pour le repas.

Des tentes de feutre sont dressées sur la banquise, et l’on déjeune sous leur abri. Le thé bouillant ranime les voyageurs engourdis ; le bœuf conservé, mêlé de riz au jus et de tubercules comestibles, fournit le fond du festin.

Les soldats y ajoutent une ration d’eau-de-vie de grains.

Après quoi on rajuste les fourrures, on replie les tentes, et le paquetage des traîneaux vérifié, la route est reprise sur la plaine de glace, plus monotone, plus attristante que l’horizon de mer, si fatigant pourtant à la longue.

Six heures du soir. La nuit est venue. Nuit opaque, sans lune, sans étoiles.

Poursuivre dans cette obscurité serait impossible. Il faut camper. Demain, vers le milieu du jour, on atteindra la côte. L’étape la plus rude est franchie.

Aussi, sous les tentes, entend-on les éclats de voix joyeuses. Après tout, le dîner a été copieux. Le lieutenant Vas’li a doublé la ration de vodski (alcool), et les cosaques louent bruyamment le jeune officier.

Aucun d’eux n’est impressionné par la situation. Ils ne songent pas que leur groupe forme un point imperceptible au milieu de l’immensité, que leurs tentes sont enserrées entre l’abîme de ténèbres du ciel et l’abîme des eaux que cache la fragile croûte de glace qui les supporte.

Les simples n’ont point de ces visions.

Lisbe et Mona, dans leur réduit de feutre, se sont étendues sur les couchettes de vareck qui leur serviront durant tout le voyage, car, sur le Transsibérien, chacun est tenu de se munir de sa literie.

Enroulées dans leurs couvertures, les pieds fixés par des courroies de peau souple aux tafirs de cuivre (sorte de chaufferettes formées d’une double boîte de cuivre avec tampon d’étoupe intermédiaire, la boîte intérieure contenant une briquette de tourbe spéciale qui brûle ainsi en vase clos durant plusieurs heures), elles dormaient, pénétrées d’une douce chaleur, absolument inconscientes de la terrible température de 31° au-dessous de zéro, qui régnait sur la banquise.