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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

— Beaucoup de treize, monsieur le gouverneur… Cela lui porte malheur… Elle va quitter ce monde…

— Pour un meilleur, monsieur Kozets… Puissent les bienheureux saint Pierre et saint Paul le lui faire obtenir.

Et le gouverneur se signa dévotement. Durant quelques minutes, le silence régna dans le bureau de Stanislas, général Labianov, gouverneur d’Aousa, colonie gouvernementale — lisez pénitentiaire — de l’île Sakhaline.

Dans la pièce, sévère, aux parois formées de planches de sapin roux et d’érable alternées, le haut fonctionnaire se tenait assis, devant son bureau de bois noir, recouvert de drap rouge, avec à l’angle droit un carré d’étoffe jaune sur lequel se détachait l’aigle à deux têtes, emblème de la maison impériale de Russie.

Le général, grand, robuste, le front fuyant, la face large, élargie encore par les favoris courts à la Bagration, était sanglé dans la capote verte de l’infanterie légère. Avec une nuance de mécontentement et d’inquiétude, il observait en dessous l’homme, jeté dans un fauteuil en face de lui, ce M. Kozets avec qui il venait d’échanger les quelques répliques rapportées plus haut.

Celui-ci s’appuyait contre une pelisse de loutre repliée sur le dossier de son siège ; il apparaissait vêtu d’un dolman de velours noir, d’une culotte large de même étoffe s’enfonçant dans de hautes bottes fourrées. Une toque de renard était posée sur le bureau devant le personnage.

Mais ce qu’il avait d’étrange, d’inquiétant pourrait-on dire, c’était son visage blême, ses cheveux blonds décolorés, ses yeux d’un bleu si pâle qu’ils semblaient blancs.

Et distraitement, comme si leur propriétaire eût oublié la présence du gouverneur d’Aousa, ces yeux regardaient au dehors, à travers les vitres de la double fenêtre, que d’heure en heure un gardien militaire du pénitencier venait débarrasser des arabesques de glace, qui eussent arrêté la vue du représentant vénéré de l’Empereur de toutes les Russies.

Paysage lugubre… La large avenue accédant au « Gouvernement », couverte de neige, bordée par les cônes funèbres de sapins noirs. À droite et à gauche, les logis des fonctionnaires de la petite garnison ; puis le village des anciens condamnés, libérés, mais avec obligation de rester à Sakhaline. Plus loin encore, la file des baraquements, occupés par les condamnés en cours de peine, s’allongeaient sur la rive de la rivière Aousa, cachée sous une épaisse couche de glace.

De temps à autre une corvée de galériens, sous la conduite de gardiens,