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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

le bâton à la main, le revolver à la ceinture, passaient, faisant tache sombre sur le tapis de neige, donnant l’impression de scarabées de deuil, de nécrophores énormes se traînant lourdement dans le paysage glacé.

Était-ce à ces choses que rêvait M. Kozets, ou bien sa pensée vagabondait-elle vers cet archipel japonais dont l’île russe de Sakhaline forme le dernier chaînon septentrional ? Évoquait-elle Yeso, Nippon, Kiou-Siou, lançant sur la Corée, sur Port-Arthur, sur la Mandchourie, leurs cohortes de petits hommes jaunes, robustes, agiles, endurants, d’un courage à toute épreuve, suppléant au nombre par la valeur ; — éternelle répétition de la légende de David abattant Goliath, — renversant, abaissant devant eux le colosse moscovite ?

Songeait-il, cet énigmatique M. Kozets, au grand port de Vladivostok, séparé de Sakhaline par un simple détroit, à ce port qui, depuis la prise de Port-Arthur par l’armée nipponne, était la seule porte ouverte au commerce russe sur l’immense Océan Pacifique ? Ce que l’on peut affirmer, c’est que son flegme énervait le général Stanislas Labianov, qui reprit brusquement :

— Enfin, monsieur Kozets, récapitulons.

— Récapitulons, mon cher général, consentit l’interpellé avec un mélange de déférence et de protection dans la voix.

— Par le fil transsibérien, j’ai télégraphié, il y a cinq jours — je procède ainsi par ordre, pour tout événement de quelque importance — j’ai télégraphié, dis-je, que la condamnée 1313, qui, sur mes registres de personnel, est désignée comme devant être l’objet d’une surveillance spéciale, était condamnée par Edgeboris, médecin principal d’Aousa.

— Parfaitement… ; je me trouvais alors à Kharbine ; je reçus directement de Pétersbourg des instructions précises, qu’en quatre journées de voyage, railway jusqu’à Khabarovsk, traîneau de ce point à celui-ci, j’ai été assez heureux pour vous apporter.

Et s’inclinant, le personnage conclut :

— Ce qui m’a valu le double plaisir d’obéir aux ordres de S. M. le Tzar et de faire la connaissance de l’homme charmant que vous êtes. Avec un geste d’impatience, le général grommela :

— Vous oubliez une troisième satisfaction, celle de me surveiller… tout charmant que je suis.

— Oh ! général, quel gros mot !… Vous surveiller !

— Ma foi… Votre mission est remplie…

— Et je ne m’en vais pas… Ah ! vaillant militaire, comme tous vos pareils, vous resterez toujours en dehors des subtilités de la politique. Je